Anna Karenina (Anna Karénine) de Joe Wright
(2012)
Il est toujours captivant de voir un cinéaste qu'on aime faire évoluer son cinéma d'une façon pour le moins inattendue. Ainsi, la carrière de Joe Wright est intéressante à plus d'un titre, et notamment pour sa capacité à côtoyer un cinéma classique aux codes établis tout en l'abordant de façon inédite, pour ne pas dire carrément expérimentale.
Atonement, vendu comme une énième romance dramatique, se révélait être un film puissant sur la décadence humaine et les regrets ;
Hanna, film d'action en apparence, était finalement une aventure initiatique en forme de conte pour enfants, le tout sur une forme totalement expérimentale et même
The Soloist, expérience ultra-mineure et académique, arrivait à se distinguer via une séquence sonore intense sur fond noir du plus bel effet.
Autant dire qu'on attendait son prochain film avec un certain engouement, et là encore, Wright arrive à créer la surprise en décidant d'adapter l'un des romans les plus célèbres et les plus ambitieux de la littérature russe avec une note d'intention pour le moins dangereuse, à savoir aborder le récit entier en le représentant dans un seul et même théâtre, qui sera le lieu de la moindre péripétie contée. Une entreprise dangereuse donc, voire carrément casse-gueule, mais qui permet une nouvelle fois à Wright de repenser complètement son cinéma tout en conservant sa capacité à gérer l'action dramatique (superbe séquence de l'accident de course), à jouer sur le plan ludique entre l'image et le son (qui rappelle évidemment les nombreux raccords sonores de
Atonement) ou encore à faire naître quelques moments de grâce qui imposent une nouvelle fois le cinéaste comme l'un des plus intéressants en activité (la première danse entre Knightley et Johnson, certainement la scène plus belle et la plus maîtrisée du film).
Néanmoins,
Anna Karenina a véritablement tendance à s'affirmer sur la longueur, car même si la première heure s'avère être un moment de cinéma original et très plaisant, force est de constater que le récit perd de son intensité à partir du moment où l'héroïne perd le respect de ses semblables, et que même le concept du métrage est quelque peu abandonné, au point de voir des décors naturels là où l'imaginaire du spectateur le créait lui-même. Difficile donc de dire à qui est la faute, mais toujours est-il que sur le plan formel le film est d'une beauté visuelle indéniable, avec notamment une caméra toujours en mouvement, une photographie somptueuse et une direction artistique du même niveau, le tout supporté par une composition musicale de Marianelli toujours aussi inspirée. Enfin, le casting est très bon, Keira Knightley se révèle vraiment à l'aise dans ce type de rôle, Aaron Taylor Johnson confirme après
Savages qu'il est un acteur à suivre de près et Jude Law trouve là certainement l'un de ses plus beaux rôles. Un film mineur pour Joe Wright, mais un film mineur d'une classe formelle rare.
NOTE : 7/10