Que cela fait plaisir de retrouver un Spielberg aussi jeune en esprit et en coeur en livrant une oeuvre transpirant de naïveté et de sincérité, sans oublier de traduire son inquiétude et ses thèmes de prédilection. Dans le ton et la photo c'est un peu
Croc Blanc (l'apprentissage et la relation homme-animal) qui rencontrerait
Légendes d'automne (essentiellement le début et la conclusion) et
Sauvez le soldat Ryan (les scènes de bataille). Puis on retrouve J. Williams qui n'a pas été aussi inspiré depuis longtemps en livrant un thème principal de toute beauté (même si on y retrouve d'autres mélodies un peu trop proches de son ancien travail).
Autour de l'arrivée du cheval, le film prend son temps pour bâtir son coeur et les émotions qui l'accompagnent, un peu à la manière de
Spirit. Un véritable condensé de scènes bucoliques comme il était courant de le faire dans les westerns
old school, qui prend son appui principalement sur cette belle bête représentant non seulement la naïveté mais aussi le courage qui demeurent chez ceux qui ont l'honneur de l'avoir, d'abord entretenue dans ce beau coin de campagne de la Grande-Bretagne, mais ensuite rattrapée par la dure réalité (le propriétaire de la ferme qui réclame son loyer, puis surtout la guerre qui appelle tout cheval à la rejoindre). C'est simplement entre ces deux émotions contradictoires, la réalité et le coeur, que nous balade tout le film. Dans cette première partie, je suis étonné, surtout après un
Tintin au zénith de la nouvelle technologie, par ce retour à des techniques toutes simples mettant en valeur les enjeux principaux, par exemple deux fondus enchaînés mettant l'emphase d'une part sur la capacité du cheval à surpasser sa nature pour sauver la ferme (devenir un cheval de ferme alors qu'il s'agit d'un mi pur-sang), et d'autre part sur le tricotage de la mère qui se met en symbiose avec le champ à labourer, dévoilant ainsi son désir malgré sa réticence première. Et puis bien sûr la relation fusionnelle du cheval et de son maître est bien mise en valeur, à la fois crédible et forte, de manière à ce que le reste du film fonctionne. A souligner que les
sfx du cheval sont vraiment bien fichus au point que je ne me suis jamais posé la question si ce que je voyais était vrai ou faux.
Puis ensuite étonnamment, alors que l'on peut s'attendre à ce que le film se concentre sur cette relation là, le cheval passe de mains en mains. Le sujet principal, c'est donc le cheval, par qui plusieurs destinées se croisent, et plus largement, les réalités diverses de la guerre. Ce que ces individus ont en commun, c'est leur coeur mis en marche par le contact avec cet animal. On suit donc deux types d'histoire entrelacées, celles des humains, et surtout celle du cheval, qui se lie d'amitié non seulement avec ses maîtres successifs mais aussi avec un autre cheval (mise en abîme à peine voilée des relations humaines idéales). Autre chose étonnante, la manière dont Spielberg met en scène la guerre, comme s'il voulait nous épargner ses horreurs avec une délicatesse incroyable, par le hors-champ, le montage alterné, ou encore des vieux trucs pour oblitérer la vision. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de choc émotionnel, bien au contraire. Seule la dernière séquence de guerre est davantage lâchée, rappelant un peu
Sauvez le soldat Ryan par cet aspect frontal et presque sans concessions. Et Spielberg n'oublie jamais d'injecter ici et là des touches d'humour pour alléger un peu une atmosphère lourde en drames et en émotions.
Malgré un fil conducteur ultra lisible, Spielberg n'oublie pas pour autant ses thèmes majeurs, distillés de manière à jamais alourdir l'histoire. Le père du premier maître, à la jambe cassée, au bord de la dépression, ayant vécu la guerre, est comme l'alter-ego de Spielberg qui se bataille pour que son coeur demeure intact, un père transmettant à son fils les valeurs nécessaires pour traverser cet univers parsemé de violence. Et ce cheval est un peu cette étincelle demeurée intacte au sein des hommes, qui s'adapte malgré sa nature pourtant non destinée à devenir animal de ferme ou de guerre (un dialogue à ce propos est tout à fait majeur). Puis de nombreux spectres du traumatisme de la Deuxième Guerre Mondiale sont aussi présents (chambre à gaz, douleur de la perte, ...), mais avec un espoir omniprésent, comme en témoigne ce court intermède de deux soldats ennemis qui s'entre-aident pour sauver ce cheval qui est ce qui reste d'humanité (paradoxalement ?) sur ces champs de bataille. Une véritable ode à la paix, défi lancé contre la dureté du monde.