Avec ce premier volet de sa trilogie des Enfers, Argento signe un film très marqué, fortement caractérisé par des tonalités graphiques vraiment osées. Si ces dernières ont, au moment de la sortie du film, provoqué des réactions passionnées au sein de la critique, certains iront jusqu'à qualifier le film comme étant de mauvais gout, elles sont pourtant à l'origine de la réputation dont jouit Suspiria, la raison première de cette source d'inspiration qu'est le film aujourd'hui chez bon nombre de réalisateurs contemporains.
Si ces partis pris très marqués au niveau de la couleur ont tant fait parler, c'est parce qu'ils sont frontaux et jamais mitigés. Argento, en laissant une grande marge de manoeuvre à son chef op Luciano Tovoli, embrasse les choix de ce dernier d'injecter à l'image des contrastes de couleur on ne peut plus assumés. En plus d'être terriblement efficaces, ils transportent véritablement le film dans un monde onirique, presque surnaturel, qui colle parfaitement à cette histoire de sorcellerie ou magie noire côtoie épouvante. Des premières images jusqu'à un bouquet final où le pourpre, le vert et le bleu sont les chefs de fil d'un jeu dont la lumière dicte ses règles, ses créateurs se font un plaisir d'apposer sur chaque élément du cadre une couche de peinture fantastique. Suspiria ne cesse de surprendre un spectateur à la fois hypnotisé par l’atmosphère si palpable de cette école de danse comme sortie d'un autre monde mais perd également ce dernier entre rêve, réalité et monde de l'occulte, pour le plonger dans la même situation que la frêle Suzy Banner.
Complètement impliqué dans le sort de cette dernière, il ne peut que se mettre à la place de ce personnage qui erre en eaux troubles et peine à comprendre cet environnement dans lequel elle est plongée presque contre sa volonté. Les personnages secondaires qui peupleront ce voyage initiatique dans lequel elle s'est embarquée seront sa seule aide pour parvenir au bout d'un chemin trouble et dangereux, des victimes qui tenteront de la mettre en garde aux psychiatres avisés qui la mettront sur le chemin de la très redoutée reine noire Helena Markos. Dès lors le film sombre totalement dans des jeux de sorcellerie qui, couplés avec cette ambiance hypnotique apportée par la photographie, finiront d’envoûter les plus septiques avant un final d'une intensité redoutable, aussi bref qu'intense. Qui ne se fera d'ailleurs pas surprendre par cet écran annonçant la fin de la séance, aussi imprévisible que soudain, et pourtant parfaitement senti. En un sourire sur les lèvres de Suzy, tout est plié, il n'y aura pas de faux retournement de situation, le film est limpide, du début jusqu'à la fin, il n'a jamais été question d'une histoire énigmatique et c'est tant mieux.
On termine en effet Suspiria hypnotisé, mais surtout profondément charmé par ce boulot titanesque pour mettre en valeur le point central du film, cette ambiance si soignée. Argento impressionne et prouve avec cette bobine qu'il est homme à faire des compromis. Oser livrer un film d'épouvante si peu effrayant, car bercé à la fois par des ambiances sonores davantage mélancoliques qu'oppressantes et des images plus poétiques que bouleversantes, rien dans Suspiria, hormis peut être quelques personnages un peu antipathiques, ainsi que les quelques morts qui ponctuent l'intrigue, ne font finalement réellement peur. C'est à mon sens la raison pour laquelle certains aiment ou détestent instantanément le film. Là où les uns se sentiront lésés par une histoire sans mystère bien trop colorées pour eux, les autres seront quant à eux pris dans ce tourbillon d'inspiration et cette avalanche de créativité qui imprègne chaque parcelle de cette bobine au magnétisme évident. Je suis indéniablement de la seconde catégorie, plus que convaincu que Suspiria est, et restera, un film à part, marqué par ce génie pictural qui l'habite et en fait une oeuvre qui continuera à marquer les esprits.