Blow Out - Brian De Palma - 1981
A peine un an après l'excellent Pulsions, Brian De Palma continue de revisiter l'oeuvre de ses pairs (ici Blow Up d'Antonioni ou encore Conversation Secrète de Coppola) et affirme encore un peu plus son statut de maestro de l'image. Peut être plus encore que dans son précédent film, il nous propose une mise en abîme vertigineuse qui fonctionne sur de multiples niveaux. La redécouverte de ce chef d'oeuvre des 80's dans l'impeccable Blu-ray édité par Carlotta est une claque phénoménale. Hormis quelques scènes un peu moins bien loties, les conditions de visionnage sont optimales et achèvent de rendre euphorique n'importe quel maniaque du cadre.
Outre l’inspiration évidente des films précités, De Palma apporte une nouvelle pierre à l’édifice de sa thématique obsessionnelle. Lors d’une scène d’introduction aussi drôle que virtuose faisant le lien avec son précédent long, il place le spectateur au cœur de l’action, sale petit voyeur qu’il est. Ce début sous forme de faux slasher n’est évidemment qu’une mauvaise blague et l’audience ne peut qu’éclater de rire lorsqu’elle découvre la supercherie.
Retour à la réalité et présentation du personnage principal (Jack Terry), preneur de son pour des séries Z fauchées, qui sera le témoin d’un accident de la route tout sauf anodin. Alors qu’il effectue des prises de son depuis un pont, une voiture folle fait un plongeon dans une rivière. N’écoutant que son courage, il sauve un des passagers, une jeune femme très naïve (Nancy Allen). Un second passager, un gouverneur favori pour les présidentielles, y laissera en revanche sa peau. Jack se lance alors dans une quête de vérité grâce aux quelques éléments dont il dispose (l’enregistrement sonore de l’accident). Ou comment De Palma relate à sa façon l'assassinat de Kennedy ou le scandale du Watergate.
Sous couvert d’une conspiration somme toute assez classique (l’assistant du gouverneur veut étouffer cette affaire d’adultère), le réalisateur propose un puzzle ludique haut de gamme, véritable jeu de pistes transcendé par une mise en scène éblouissante, totalement au service du récit. Les adeptes d’images chiadées sont aux anges. Entre la scène du pont, celles dans le studio de montage de Jack, des plans des rues de Philly d’une beauté à se damner ou encore le final étourdissant, rien n’est à jeter. Techniquement, Brian nous fait la totale. Il nous assène des enchaînements de crochets, droites et uppercuts sous forme de travellings tantôt vertigineux (la scène de la gare, l’ubuesque poursuite en voiture), tantôt étourdissants (le travelling circulaire dans le studio à en perdre la tête). On a également le droit à du split screen bien senti et à une utilisation admirable de la double focale. Même lorsque le Blu-ray trahit des inserts qui ne peuvent renier leur âge (30 ans), la science de l'image emporte tout sur son passage.
Beaucoup reprochent à l’histoire d’être moins captivante que Pulsions (ce qui n’est pas faux) mais on gagne en revanche un aspect autobiographique et un discours sur le pouvoir de fascination des images qui transcendent le scénario. De Palma se projette à l’écran. Jack Terry, c’est un peu lui en quelque sorte. Un bidouilleur de génie mésestimé qui a du se battre comme un lion pour obtenir la reconnaissance. Travolta trouve évidemment un de ses meilleurs rôles (de toute façon, il n’y en a pas beaucoup à part celui-ci et celui dans Pulp Fiction…), Nancy Allen joue la nunuche candide et ça lui va bien et John Lithgow est parfait en serial killer sadique. La musique de Pino Donaggio est au diapason de l’image, à la fois mystérieuse et mélancolique. Blow Out est un vrai tourbillon formel, qui embrasse sa matière narrative classique pour en faire un joyau hypnotique. Un de plus dans la filmographie du maître.
9/10