Brian De Palma est un cinéaste de l'image, un génie de la mise en scène qui n'a de cesse de se jouer de son spectateur. Avec Pulsion, les vannes sont ouvertes à leur maximum pour transporter ce dernier dans un monde onirique teinté d'une violence fulgurante pour lui animer le palpitant sans fausse retenue. Des premières minutes du film, érotiques en diable, à une séquence finale terriblement oppressante, impossible de décrocher les yeux tant Pulsions transpire cette virtuosité de la mise en scène, ce sens du mouvement, cette abondance de références qui caractérise le cinéma du réalisateur.
Car c'est bien cette richesse d'inspiration qui construit Pulsions qui marque avant tous les esprits. De Palma nous livre ici une interprétation personnelle de plusieurs influences qui ont construit sa personnalité cinématographique. Si l'aura d'Hitchcock est omniprésente dans Pulsions, illustrée sans détour à de multiples reprises par une réappropriation géniale de Psychose et sa mythique scène de la douche, elle n'est qu'une partie d'un puzzle bien plus riche en clins d’oeil. Tout amateur de giallo qui se respecte sera en effet également séduit par cet hommage vibrant que revêt le film à ce genre riche en symboliques, graphiques ou narratives. A travers ce tueur au rasoir affuté, De Palma nous fait partager son amour pour cette facette du cinéma italien et c'est avec grand plaisir qu'on se voit transporter dans un thriller intelligent où se mêlent habilement des influences aussi diverses que les cinémas d'Argento et d'Hitchcock. Le résultat est tout simplement passionnant, mais avant tout diaboliquement divertissant. Car c'est vraiment avec le sourire qu'on suit le film, ce dernier se profilant généreusement sur nos petits visages insolents lorsque le cinéaste nous laisse reprendre notre souffle entre les montées de stress qu'il nous fait subir.
Le bougre ne nous ménage jamais, son sens du jeu, son envie de nous déstabiliser est constante. Dès les premiers tours de bobine, il nous met en condition. Pulsions n'est pas film à faire dans le compromis, il est frontal et assumé. Le cinéaste nous met en garde dès les premières images. En l'espace de 10 minutes, on passe d'excitation à compassion, d'un univers à l'érotisme torride à la froideur glauque d'une chambre à coucher d'où toute passion est absente. Ce tempo éprouvant sera maintenu pendant toute la durée du film pour exploser lors d’un final qui prendra de court les plus malins.
Si la narration de Pulsions est d’une efficacité redoutable, c’est également parce qu’elle est portée à l’écran par un sens de la mise en scène qui tient du génie. De Palma a plus que digéré les références qu’il s’y approprie et nous offre des moments de cinéma uniques en leur genre. Que ce soit cette photographie très inspirée, créatrice d’ambiances oppressantes idéales pour instaurer un suspens qui prend à la gorge, ou cette précision chirurgicale dans le montage, Pulsion est un modèle de savoir-faire avec lequel le réalisateur use de toute la puissance de l’image pour nous amener où il le souhaite. Difficile en effet de faire plus efficace que cette dernière séquence lors de laquelle il donne un écho direct à toute la scène d’ouverture du film. En lieu et place et la belle Angie Dickinson qui prenait son plaisir entre deux volutes de vapeur, c’est sa dauphine que l’on retrouve dans la même position, le sourire en moins. La scène est oppressante et nous fait bondir lors de son dénouement, sournois car imprévisible. Mémorable en tout cas.
C’est en état d’admiration pour un cinéaste qui transpose sur écran ce qui fait sa personnalité, sans se préoccuper du qu’en dira-ton, que l’on dévore le générique de fin. Convaincu par un script qui sait se renouveler en se nourrissant véritablement de ses personnages mais également charmé par des acteurs qui les interprètent avec beaucoup d’implication et de générosité. Car Pulsions, ce sont également deux superbes rôles féminins qui ne se contentent pas de nous faire du charme. Angie Dickinson et Nancy Allen s’alignent avec la précision radicale de la mise en scène du réalisateur pour finir de construire ce suspens remarquable qui caractérise la bobine.
Enfin, comme pour étayer cette règle qui veut que les grands films soient pourvus d’une bande son bien marquée, impossible de finir cette petite bafouille sans évoquer le thème de Pino Donaggio. Sa mélodie hypnotique apporte à l’image une ambiance musicale très marquée qui finit de faire de Pulsions un chef d’œuvre intemporel.