Lo Imposible (The Impossible) de Juan Antonio Bayona
(2012)
Il aura fallu finalement cinq ans à Juan Antonio Bayona pour nous livrer son second film. Après le triomphe critique et public de L'Orphelinat, qui avait nettement contribué à l'intérêt mondial pour le cinéma de genre hispanique, on attendait avec une certaine impatience la confirmation, ou non, d'un talent. Car même si le premier film de Bayona jouissait d'une maîtrise de mise en scène évidente et d'un traitement bien plus dense qu'en apparence, il y avait tout de même ce doute évident où l'on venait à se demander si la qualité globale du métrage venait du fait que Bayona fut aidé de quelques façons par son producteur en la personne de Guillermo Del Toro. Néanmoins, à la vision de The Impossible, difficile de ne pas admettre que l'on a bien là non seulement la confirmation d'un talent certain, mais en plus la promesse d'une carrière qui risque de s'imposer parmi les plus intéressantes du cinéma espagnol de ces dix dernières années.
Car oui, il y avait clairement de quoi avoir peur avec un film tel que The Impossible. Second long-métrage, production espagnole aux premiers rôles américains pour permettre au film de mieux s'exporter à l'étranger, scénario tirée d'une histoire vraie se déroulant lors d'une catastrophe naturelle les plus meurtrières de l'histoire de l'humanité, marketing jouant à fond sur l'émotion bas de gamme, bref autant de raisons de craindre un film qui, à la surprise générale, se révèle être tout simplement l'un des films de l'année 2012. Car dès le début de son film, Juan Antonio Bayona prend une direction casse-gueule que peu de cinéastes savent correctement aborder, à sa voir créer une fiction à la pensée cinématographique tout en gardant une ligne de conduite qui permettrait au récit de rester ancré dans un réalisme ambiant, que ce soit visuellement ou scénaristiquement. Ainsi, The Impossible commence par l'accentuation du caractère « histoire vraie » du récit pour finalement démontrer en quelques plans, un fond noir et un crescendo de basses qu'il compte bien réaliser avant tout un film de fiction, avec toute la notion de spectacle visuel, de contrôle émotionnel du spectateur, bref de mensonge cinématographique que cela comporte.
Dès le début du film avec sa vision paradisiaque de vacances d'une famille américaine pour le moins aisée, Bayona s'amuse à jouer avec le caractère réel de son histoire, quitte à perdre certains de ses spectateurs en cours de route, et joue véritablement avec les attentes du spectateur qui sait pertinemment que le tsunami arrivera tôt ou tard. A la manière de Steven Spielberg (une référence qui reviendra très souvent dans ces lignes), Bayona crée une attente et fait de ce tsunami une sorte de monstre dont l'on craint autant l'apparition que l'on ne l'attend. Là encore, beaucoup crieront au scandale éthique, mais force est de constater que tout est dit en l'espace de dix minutes : The Impossible est avant tout un film de cinéma dans ce qu'il y a de plus pur et donc, forcément, une manipulation constante du spectateur. Avec cette introduction qui contient assez d'overdose de bons sentiments pour totalement contraster avec ce qui va suivre (là encore, cela rappelle fortement ce qu'avait pu faire Spielberg sur War Horse), The Impossible pose rapidement les caractéristiques essentielles de ses personnages pour finalement passer à l'essentiel avec cette arrivée du tsunami qui relève tout simplement du grandiose via un suspense palpable et une autre référence au cinéma de Spielberg avec ce fameux ballon rouge qui, à la manière des oranges chez Coppola, ne pouvait qu'annoncer le pire. Une entrée en matière époustouflante, certainement ce qu'on a pu voir de plus impressionnant et d'immersif dans l'histoire du cinéma catastrophe. En quelques plans, Bayona décime tout ce qu'on a pu voir auparavant dans le genre (et dévoile au grand jour le ridicule de la même séquence filmée par Eastwood dans Hereafter), avec des mouvements de caméra dont on se demande encore comment il a pu les tourner.
Et dans ce chaos des plus dévastateurs, Bayona crée alors subtilement un lien émotionnel entre ses personnages, et au bout de vingt minutes de métrage on en vient à frissonner à l'idée qu'un enfant puisse assister à la mort de sa propre mère. A partir de ce moment là, The Impossible prend une tournure pour le moins inattendue, celle de jouer à fond sur les émotions du spectateur. Rien ne sert de le nier, le film de Bayona est un tire-larmes, mais clairement pas un tire-larmes dans ce que le terme a de péjoratif, puisque Bayona possède la grandeur d'esprit pour assumer son film en tant que tel, permettant d'établir une sincérité évidente entre ce qu'il filme et son public. A ce titre, The Impossible se détache totalement de films comme La Rafle qui cherchaient toujours à jouer sur deux tableaux incompatibles (sincérité historique et tire-larmes) et se rapproche bien plus de l'émotion sincère d'un Schindler's List (de Spielberg, encore une fois). Nul doute que des passages comme le superbe chassé-croisé dans l'hôpital et le camp qui l'entoure ou le final feront grincer des dents, mais là encore, il faut être véritablement aveugle pour ne pas percevoir cette pureté de cinéma qui devient hélas de plus en plus rare.
Une pureté qui se retrouve aussi dans un script dense qui renoue avec certains thèmes déjà abordés dans L'Orphelinat. En moins de deux heures, Bayona traite à la fois de la bonté humaine, de sa lâcheté vis à vis de son prochain (l'homme au téléphone mais aussi la famille elle-même qui fuit cet enfer de façon que l'on pourrait aisément considérer comme égoïste, la scène finale va clairement dans ce sens si on l'analyse au plan par plan avec ces personnages qui préfèrent se baser sur un souvenir matérialisé plutôt que de regarder en arrière), du choix terrifiant que doit faire un père entre sa progéniture et sa bien-aimée, du rapport entre l'homme et le monde dans lequel il vit, du caractère inoffensif d'une telle catastrophe face à la grandeur de l'univers ou encore de la relation simple et prude entre une mère blessée à mort et un fils qui n'ose même plus la regarder.
A ce titre, The Impossible s'impose véritablement comme un film catastrophe atypique, à la mise en scène soignée et aux séquences poignantes et inspirées, au casting étonnant qui permet à Naomi Watts de trouver sa meilleure prestation depuis Mulholland Drive, à Ewan McGregor de prouver quel excellent acteur il peut être (superbe séquence du téléphone) et à Tom Holland d'être révélé à la face du monde. Certainement l'un des films les plus marquants de l'année donc, le genre de film qui vous lâche difficilement sur le plan émotionnel et qui impose son réalisateur comme une valeur sure définitive. Inutile de dire que je le conseille ardemment.
NOTE : 9,5/10