L’ARMÉE DES OMBRES-------------------------------------------
Jean-Pierre Melville (1969) |
8/10 Première vision de ce film considéré comme le chef d’œuvre sur le sujet et j'en ressors un avis assez mitigé.
Certes la caractérisation de ces hommes et femmes de la Résistance, cette armée des ombres, est rendue d'une très belle manière, soulignant notamment l'exigence de silence, de solitude, de dévouement et la nécessité d'une organisation secrète avec des règles intransigeantes. La lutte presque aveugle de ces hommes contre l'envahisseur (les Allemands sont très peu montrés) a la dimension du combat d'une vie et les nécessaires assassinats des traîtres à l'organisation, l'un des sujets les plus forts de ce récit, livrent des scènes vraiment poignantes.
On sent que Melville, en tant qu'ancien résistant, a mûri son sujet sans aucune complaisance, choisissant notamment un traitement sobre, langoureux et anti-spectaculaire; la Résistance montrée sous un angle quasi anti-héroïque est l'une des forces indéniables de ce film implacable. Ses acteurs principaux sont parfaits, Ventura, Signoret, Meurisse, sont habités par leurs personnages et ils incarnent avec force ces figures de la Résistance (j'ai par contre plus de réserve sur les autres acteurs, mais bon, ça va). Et l'utilisation de la voix off donne clairement une profondeur appréciable à ces personnages et soulignent encore plus leur caractère secret et rentré, et leurs sentiments de doute et de combat intérieur. La réalisation est splendide et si elle reste relativement classique la plupart du temps (dans le bon sens du terme), les temps forts sont extrêmement soignés avec des travellings et des zooms sobres et efficaces mais souvent utiles et très précis. On est souvent proche d'un hyper réalisme assez cauchemardesque, nous impliquant avec force dans cette époque de l'occupation, mélancolique et funèbre.
Reste que ces qualités de traitement sont aussi pour moi l'une des limites du film. Car le rendu triste et glaçant de cette épure ajoute au sentiment d'ennui que provoque un script souvent lent et très contemplatif. Si le premier et dernier tiers réservent quelques scènes intenses, le film souffre je trouve d'une torpeur rébarbative dans sa grosse partie centrale. Car il ne se passe finalement que très peu de choses et les ellipses sont un peu trop nombreuses. On s'ennuie donc assez ferme devant cette tentative ratée de faire évader Félix, ces très nombreuses phases d'attente, cet aller retour a priori inutile en Angleterre, et ces silences qui pèsent sur des plans austères de campagne boueuse. Et contrairement à la résignation et l'incapacité d'action qui nourrissent ce récit, certaines facilités sont aussi à déplorer : Lino dans sa scène d'évasion a certes une très belle foulée mais ne trouve quasiment aucune résistance dans un QG de la Gestapo étrangement ouvert et désert. Dans sa scène d'exécution, outre l'étrange façon d'ailleurs d'exécuter des condamnés, ce même Lino (qui a je ne sais pas pourquoi évité la torture réservée autrement à ses camarades) a la bonne idée de se décider finalement de courir et de trouver une corde salutaire au bon moment, au bon endroit...
Quelques facilités relatives donc qui, si elles ne polluent pas le film, remettent tout de même en cause la portée impitoyable de l'histoire. Et ajouté au caractère parfois ennuyeux du film, l'aspect morne de sa mise en scène (assumé) et l'absence de réel rebondissement sur près de 2h20 de film, font de cette illustration, un témoignage certes à saluer mais qui manque pour moi de mordant.
Reste donc un sujet essentiel traité avec conviction et implication par un cinéaste inspiré. Mais j'aurai je pense du mal à le revoir.