Sa réputation de classique n'est pas usurpée, et rentre facilement parmi mes films préférés sur les tueurs en série. Si
Viking m'avait moyennement convaincu par son scénario, ce n'est nullement le cas ici, et j'ai bien envie de voir d'autres films de ce réalisateur que je connaissais seulement de réputation.
Tiré d'une histoire vraie, les deux grandes forces de ce long-métrage, à part son interprétation quasi sans faille, est non seulement sa mise en scène, qui sait se faire fortement moderne, et épouse également partiellement le style documentaire pour plus de crédibilité, mais aussi le point de vue adopté. En effet, j'ai beaucoup aimé le parti-pris de ne pas dévoiler tout de suite le visage du tueur, nous entraînant dans la folle course désespérée des policiers à trouver un suspect. Le
split-screen, très original pour l'époque, est magistralement utilisé pour mettre à nu, sous tous les regards et à la manière du
galio - nous impliquant ainsi dans le voyeurisme de l'exécutant -, le processus des meurtres méticuleusement préparés. Dans le même plan est incrustée la confiance aveugle des victimes. Cette mise en scène à la De Palma avant l'heure, nous offre ainsi un double regard simultané sur le meurtre. Ce que je retiens également est la finalité du geste seulement évoquée.
Mais le réalisme de l'exécution, la suggestion de l'horreur marquée sur les visages des découvreurs des corps, ainsi que la découverte macabre qui s'ensuit (et par cet effet d'ellipse, les victimes sont réduites à des corps entre les mains joueuses du tueur), suffisent largement pour nous mettre mal à l'aise. Cette technique est également utilisée pour insister sur l'inefficacité des faits et gestes de la police malgré leurs nombreux efforts, qui les conduira à consulter des para-psychologues (de ce fait, ni le médium ni l'hypnotiseur ne m'ont véritablement gêné, traduisant le désespoir d'une méthode pourtant jusque là menée scientifiquement au sens quasi clinique). Et enfin elle met en scène la paranoïa qui gagne la population : le spectateur est ainsi du côté des victimes tant potentielles que réelles. En outre, l'enquête, même si elle patine, est l'occasion de croiser de nombreux pervers, des malades potentiellement dangereux qui polluent les rues, révélant une véritable antichambre du crime, et qui agissent comme autant de trompe-l'oeil.
Ensuite, au moment où nous connaissons l'identité du tueur dans la seconde partie du film, au lieu de le diaboliser, une autre qualité du film est de le montrer dans son cadre familier, sa banalité effrayante, et d'insister sur le trouble qui émane de lui, la folie qui le ronge tout entier. Malgré l'absence de surprise au niveau de l'enquête qui suit, on assiste avec fascination à sa psychologie ambivalente et sa méthode méticuleuse pour tuer. Après son arrestation, un autre tour de force qui conclue le film : son face-à-face avec l'enquêteur de police, dont l'enjeu pour nous n'est plus l'aveu en lui-même, mais plutôt la plongée à la Hitchcock dans les méandres de ses délires schizophréniques, nous faisant passer à une enquête plus psychiatrique que policière. La mise en scène est de nouveau au service de cette folie, en multipliant inserts, points de vue simultanés, et perspective forcée, représentant ainsi sa bipolarité et sa perception de la réalité dérangée.
Enfin, les acteurs sont généralement bons, Curtis en tête qui parvient à nous faire rentrer dans la peau de son personnage, de ses angoisses, son aspect pathétique, mais aussi l'horreur qui émane de son côté sombre. Henri Fonda est aussi très bon dans le rôle de l'inspecteur de police, incarnant la finesse d'esprit, la rationalité, mais aussi les doutes qui animent tout bras droit de la justice, comme si l'homme qu'il a attrapé avait reflété sa propre monstruosité, perceptible à travers son désir d'obtenir son aveu alors qu'il n'y a plus d'enjeu pour l'enquête. Seuls petits bémols que j'ai retenu : l'expression parfois trop forcée des visages féminins découvrant les corps inanimés, et peut-être aussi pour les plus pointilleux quelques raccourcis narratifs un peu faciles (mais je trouve que le sujet du film porte moins sur l'enquête que sur le
serial killer, et ses différents effets sur cette dernière et la société).