Film très dense et finement écrit, l'étrangleur de Boston surprend dans son traitement bien différent du film de sérial Killer. Là où généralement, on est dans la violence crue et la haine pure, Fleischer choisit une approche psychologique très humaine de ce détraqué qui a assassiné plus d'une dizaine de femmes à Boston au début des années 1960. En variant les points de vue dans son film, on passe de celui de l'inspecteur en charge de l'enquête à celui du tueur pour découvrir son mode opératoire, en passant également furtivement par le champ visuel des victimes, le cinéaste nous permet de nous sentir totalement impliqués dans l'histoire.
Le film est en effet cruellement impliquant pour le spectateur dans le sens où il navigue entre différents parti pris, qui divisent en gros le film en deux parties très distinctes. Dans la première, nous sommes plongés dans une enquête passionnante au sein d'un bataillon d'enquêteurs sur les dents, décidés à arrêter coûte que coûte le démon qui hante les rues de leur ville et empêche les jeunes femmes de s'y épanouir à la nuit tombée. La seconde moitié du film est elle très différente en terme de tonalité, finie la chasse aux indices, place à la salle d'interrogatoire en milieu psychiatrique pour une plongée dans l'âme humaine qui fait froid dans le dos. Fleischer choisit de mettre en place un style narratif proche du documentaire, faisant de son film un journal de bord détaillant cette affaire sordide qui a ébranlé Boston en son temps. Les premiers écrans annoncent d'entrée de jeu la couleur, l'histoire narrée dans l'étrangleur de Boston est véridique, le fait qu'on nous le rappelle oriente encore plus le film vers une oeuvre de témoignage.
Mais c'est également l'occasion pour Fleischer d'apporter à son propos une réflexion assez poussée sur l'esprit humain. Sans y aller par quatre chemins, il choisit d'humaniser très fortement son présumé coupable. S'installe un malaise palpable à l'écran, comment juger un homme qui semble manipulé, contre sa volonté, par son propre lui. Le face à face entre l'inspecteur, davantage psychiatre que représentant de la loi, et son patient criminel, qui ira au bout de ses souvenirs pour essayer de comprendre ce qui lui arrive, en est une tentative de réponse cinglante. Difficile de rester de marbre devant cette joute savamment dosée par un réalisateur véritablement doté d'un sens de la mise en scène incroyable. En témoigne ce dernier plan terriblement inquiétant, sombre, qui enlève tout espoir de notre esprit avant de conclure le combat. Tony Curtis finit le film non sans avoir livré toute son âme dans son rôle, on le sent véritablement épuisé par son personnage.
Avec l'étrangleur de Boston, Fleischer nous démontre toute l'étendue de son talent à travers une réalisation millimétrée très inspirée. S'appropriant totalement le jeu du split screen de manière très intelligente, il réussit à retranscrire sur grand écran l'horreur des crimes commis par le tueur de Boston. La plupart des meurtres nous sont proposés à la fois du point de vue du tueur et de celui des victimes, où comment rendre crédible ces situations où une femme seule ouvre à un inconnu sans trop s'en inquiéter. Le fait de voir cette dernière douter puis finalement céder plus par besoin d'une décision immédiate qu'une supposée inconscience, permet d'insuffler aux différents meurtres un réalisme troublant. Mais la subtilité du film, c'est aussi de ne jamais sombrer dans un côté tape à l'oeil qui tuerait dans l'oeuf cette volonté de coller à la réalité. Et même si l'on ressent beaucoup d'inspiration puisée dans l'univers du Giallo pour la mise en scène des meurtres, c'est toujours fait avec subtilité. Même la scène la plus démonstrative du film reste sèche et rapide, pour ne pas sombrer dans un côté outrancier qui lui enlèverait son authenticité. Le sentiment général qui s'en dégage, c'est que ces séquences n'en sont que plus efficaces. Toute cette scène où le tueur ligote sa victime sur son lit fait encore aujourd'hui son petit effet.
Un sacré moment de cinéma qui passe le cap du temps avec les honneurs. Cette volonté de ne jamais en faire trop permet au film de rester efficace et de vieillir très bien à tous les niveaux. Il semble même très moderne malgré son âge autant dans sa réalisation, subtile et inspirée, que par le traitement de son thème du tueur en série, bien plus souvent propice aux images chocs qu'à la réelle réflexion.