La part des anges
Un film de Ken Loach
8.5/10
Drôle, révoltant, émouvant, La part des anges est un véritable concentré d'émotions qui se laisse déguster avec un immense plaisir. Du grand Ken Loach. la manière de Woody Allen, Ken Loach réalise désormais un film par an, ou presque. Après l’excellent Looking for Eric, présenté à Cannes en 2009, le cinéaste anglais nous avait pondu l’année dernière le très mitigé Route Irish, film mollasson sur le retour chahuté d’Irak d’un soldat britannique. Que les fans du réalisateur se rassurent : avec La part des anges, Loach nous offre une comédie sociale remarquable et prouve, une fois de plus, qu’il fait parti de ces rares cinéastes à posséder un sens parfait de la narration cinématographique.
Usant des traditionnels rouages du cinéaste britannique, La part des anges n’étonnera guère. Le film raconte l’histoire presque ordinaire d’un jeune écossais, Robbie, tout juste père de famille, rattrapé par ses écarts de violence qui lui vaudront comme sanction un stage de citoyenneté. Il y fera la rencontre d’Henri, un éducateur passionné de whiskey. Voyant en Robbie un danger pour l’enfant, ses beaux-frères lui ordonnent de quitter la ville au plus vite.
En présentant l’histoire dramatique de personnages contemporains, martyres d’une époque où la violence, qu’elle soit morale ou physique, est omniprésente, Ken Loach accomplit ce qu’il sait faire de mieux : parler avec légèreté mais réalisme du quotidien qui bascule. Bien que La part des anges possède inévitablement dans ses gènes la pate du réalisateur, le film dispose néanmoins d’une réelle singularité qui lui donne une saveur toute particulière. Il faut dire que si Loach y déverse une avalanche de thèmes qu’il affectionne, à savoir la famille, la misère sociale, l’amitié, le tout servi par une inévitable happy end, La part des anges brille particulièrement par sa capacité à raconter une réelle histoire, unique et crédible, qui n’existe que par elle-même et, surtout, ne se pense que par elle-même. Principale raison de ce constat, la profondeur des personnages qui disposent chacun d’une histoire propre et mécaniquement d’une véritable personnalité – comme si le film n’était que le prolongement d’existences bien réelles. Cette prouesse narrative permet alors au récit de déployer toute sa puissance émotionnelle où humour, colère et tristesse sont brassés dans une succession de scènes fortes et marquantes. Séquence parmi tant d’autres, la visite d’une distillerie, autant comique qu’instructive, révoltante que rassurante – les condamnés ne peuvent pas s’empêcher de voler, encore et toujours.
Si Ken Loach sait parler à ses acteurs, le britannique n’en oublie pas pour autant ses spectateurs. Centre de gravité du film, la découverte de l’art du whiskey par Robbie s’accompagnera, inévitablement, de l’intérêt du spectateur, néophyte ou non en la matière. Il faut dire que la discipline est présentée avec un tel amour, une telle joie, une telle passion, qu’il en devient difficile de ne pas se sentir concerné par cet apprentissage que Robbie partage, finalement, avec nous. La part des anges, c’est d’abord une déclaration d’amour. On pourrait trouver le mécanisme très simpliste, tant Robbie devient très rapidement amateur, mais c’est justement par cette magie, celle qui survient de nulle part – comment un homme ordinaire devient subitement spécialiste ? –, que Loach parvient à transformer la banalité d’un quotidien en véritable conte de fées réaliste. Orson Welles disait qu’il faut trois éléments pour faire un bon film : « a good story, a good story and a good story ». Le travail de Paul Averty, scénariste complice de Loach, est en ce sens formidable tant sa plume, à la précision chirurgicale, fait des merveilles et offre au cinéaste le moyen d’accomplir ses ambitions.
Ken Loach, c’est le cinéma du réel dans toute sa splendeur, ce cinéma qui, par une légèreté totalement assumée, trouve du plaisir à raconter une histoire aux enjeux lourds, importants et scandaleux. Et là repose finalement toute la magie du film et, d’une manière plus générale, de l’œuvre de ce réalisateur talentueux.