De par son sujet, à savoir l'exorcisme symbolique d'un traumatisme causé par une catastrophe naturelle en explorant les liens avec les victimes, Scott emprunte une voie délicate où beaucoup se sont cassés les dents à l'instar de
Au-delà Mais il évite admirablement le naufrage d'une part en se l'appropriant avec son style et ses obsessions propres, d'autre part en l'abordant de biais, avec une autre catastrophe provoquée cette fois-ci par un facteur humain qui facilite ainsi l'immersion du spectateur. Au lieu d'être projeté immédiatement vers des hauteurs métaphysiques ou un pathos misérable, on commence donc avec une enquête conventionnelle, en même temps richement documentée (on nous apprend plein de choses sur la manière de recueillir des indices sur l'explosion d'une bombe). Le ton est légèrement dépressif, et on ne sait pas encore trop à quoi s'attendre : l'imprévisibilité et l'originalité du traitement du récit font partie de ses grandes forces.
Soudainement, l'histoire emprunte un tour résolument SF très en vogue, prenant pour principe l'exploration du passé proche à la manière d'un
Minory Report en entrelaçant deux lignes temporelles. C'est là que le style très léché et quasi épileptique mis en place dans les années 2000 par Scott acquière selon moi un niveau de pertinence inégalé chez lui. En effet, les images s'affichant à la manière d'un kaléidoscope créent au début une atmosphère mélancolique bienvenue, mettant à distance les personnages comme s'ils était fortement déshumanisés par cette situation extrêmement violente. C'est pour mieux marquer le coup sur l'implication du spectateur à la nouvelle forme que prend l'enquête. Son sens de l'observation est sollicité par une technique futuriste suivant à la loupe plusieurs perspectives simultanées d'une même scène. Et surtout son émotion est mise à contribution, nous faisant partager les derniers moments d'une femme (sublime Paula Patton) qui est la clé de toute l'enquête, et avec qui l'enquêteur (Denzel Washington) crée un lien affectif dépassant toute rationalité. Autrement dit, derrière une enquête à la limite du croyable mais évitant à chaque fois le ridicule (basée sur des postulats aussi raisonnables qu'au début du film), on retrouve aussi le romantisme désespéré, voire impossible, entre deux êtres de solitude, si cher au metteur en scène. Ce qui n'est pas une valeur ajoutée, mais devient l'enjeu principal de l'histoire.
Peu de véritables défauts viennent entacher le tableau de cette oeuvre injustement laissée de côté alors qu'elle fait certainement partie du haut du panier du bonhomme. Peut-être le casting, sympathique mais oubliable à part le duo de tête, y compris le
bad guy, intéressant avant tout pour son rôle d'alter-ego, et la fonction qu'il occupe, à savoir l'idée d'un héroïsme nihiliste et de rébellion contre l'administration américaine, figures récurrentes du cinéma de Scott. Ou encore le cadre de l'action, la Nouvelle Orléans, qui aurait gagné à un meilleur traitement, surtout connaissant sa valeur symbolique.