Skyfall de Sam Mendes
(2012)
Le meilleur film de l'année 2012 serait-il un James Bond ? Improbable mais pas totalement impossible.
Skyfall, 23ème film d'une saga vieille d'un demi-siècle, avait clairement de quoi susciter l'attente, notamment par la participation de Sam Mendes (cinéaste confirmé qui avait pourtant tout à prouver pour ce qui est de filmer l'action) et de Roger Deakins (directeur photo attitré des frères Coen) qui prouvait une véritable volonté d'évolution et de maturité. Pour la première fois, un film James Bond allait être dirigé par un réalisateur talentueux et totalement improbable. Et même si les premières images avaient de quoi réconforter les plus sceptiques, il y avait toujours cette peur justifiée de se retrouver un face d'un film calibré par ses producteurs, ne cherchant à n'être rien d'autre qu'un divertissement honorable. Pourtant, en plus de se révéler être le meilleur film de la saga,
Skyfall surprend véritablement en s'imposant comme l'un des films les plus marquants de cette année, l'énième épisode d'une longue saga devenant un exemple ultime de ce que le divertissement d'action peut offrir de mieux dans l'industrie cinématographique d'aujourd'hui, tout en restant fidèle aux principes propres à la saga d'origine et de ses principes.
Car
Skyfall est véritablement le James Bond fantasmé par beaucoup durant ces dernières années, un épisode qui se trouverait entre la nostalgie assumée des codes de la saga (hélas trop souvent oubliés) tout en affichant la dimension résolument moderne que
Casino Royale avait su implanter définitivement. On peut ainsi voir le film comme une sorte de bilan, de constat d'une saga qui, après cinquante ans, se remet totalement en question concernant son avenir. Beaucoup reprocheront à
Skyfall d'avoir l'apparence d'un reboot, voire même de son absence de continuité vis à vis des deux derniers films (mais depuis quand la continuité est importante dans un James Bond ?), et pourtant la grande force du métrage est véritablement dans son intention de faire table rase du passé sans jamais l'oublier. Ainsi, là où
Casino Royale et
Quantum of Solace présentaient un jeune chien fou profondément impulsif,
Skyfall présente James Bond comme un vieil espion fatigué et meurtri, une vision qui colle parfaitement au visage particulier de Daniel Craig. Certes, la volonté n'est pas nouvelle (on l'avait déjà vu dans
Never Say Never Again avec un Sean Connery vieillissant), mais la grande nouveauté vient de cette profondeur psychologique jamais autant mise en avant sur le personnage. James Bond, pour la première fois de son histoire, devient un véritable personnage tragique avec des sentiments (là où Casino Royale ne le montrait qu'en apparence), un passé (seulement évoqué dans certains épisodes comme
Goldeneye) et surtout des doutes vis à vis du monde auquel il appartient.
Ainsi, dès la séquence d'introduction et le sublime générique, Mendes nous présente Bond comme un héros vulnérable, capable de douter du système qu'il protège, notamment via sa relation avec M, storyline centrale du métrage et point d'orgue de ce qui, jusque là, était seulement suggéré dans les six derniers épisodes (comprenez la relation mère/fils). Et là encore, le film touche au génie quand il s'agit de rendre encore plus dense cette approche inédite, notamment via le bad guy qui se révèle être certainement le plus réussi de la saga sur de très nombreux points. Javier Bardem, non content de prouver encore une fois qu'il est l'acteur idéal pour ce genre de rôle (comme dans
No Country for Old Men, il dégage une crainte et une ampleur toute particulière), est ici aidé par une écriture géniale, faisant de son personnage à la fois un vecteur de danger mais aussi de questions pour le personnage de James Bond. Sorte de Némésis imprévisible qui projette au spectateur l'image de ce que pourrait devenir Bond s'il suivait ses impulsions, Silva est aussi le moyen pour Mendes de créer une tournure inattendue à son film, notamment via une séquence londonienne où l'on sent un véritable héritage d'un film comme
The Dark Knight, mais aussi et surtout un climax final ultime en Écosse, de loin la meilleure séquence du métrage et certainement la plus osée de toute l'histoire de la saga, qui permet au film par une écriture habile de se détourner de la technologie contemporaine pour retourner aux sources de la saga et du personnage. Une approche résolument nouvelle donc, mais qui n'oublie jamais de quoi elle découle.
On assiste donc au grand retour du personnage de Q qui devient, pour la première fois, un élément essentiel du récit, mais
Skyfall est aussi le témoin de retrouver l'essence première de James Bond, ce qui est flagrant lors de la première apparition de la DB5 (soutenue par le thème de John Barry) mais aussi lors des deux dernières minutes du métrage, véritable profession de foi d'une saga prête à faire un grand pas en avant et qui place donc la barre très haute pour le prochain opus. Mais la véritable innovation de
Skyfall vient aussi de sa forme, car en prenant le duo Mendes/Deakins, la saga Bond prend enfin la décision de faire appel à des véritables penseurs du langage cinématographique, et forcément la différence se voit comme le nez au milieu de la figure. Car non content d'offrir une mise en scène lisible, compréhensible et inspirée qui fout une raclée monstrueuse à la majorité des blockbusters sortis ces dernières années (le combat en plan-séquence à Shangaï ou encore la présentation originale du personnage de Bardem par le point de vue de Bond),
Skyfall est en plus certainement le plus beau film de l'année sur le plan pictural, Roger Deakins arrivant à marier son identité visuelle à l'exotisme bondien tout en le renouvelant pour offrir au spectateur des séquences à la limite de l'expérimentation visuelle (Shangaï, la lande écossaise en flammes).
Si on rajoute en plus le casting impeccable, de Daniel Craig (qui offre là sa seconde performance marquante de l'année après le
Millenium de David Fincher) à Judi Dench en passant par Javier Bardem, Ralph Fiennes et Ben Whishaw (qui campe un fabuleux Q), et une composition musicale de Thomas Newman excellente soutenue par une chanson-titre qui colle parfaitement à l'intention du métrage, on obtient avec une facilité déconcertante le meilleur épisode de la saga. Et là encore, le plus surprenant est de voir à quel point
Skyfall, claque cinématographique monstrueuse et inattendue, a tout pour s'imposer comme le film le plus réussi de l'année.
NOTE : 9/10