[Dunandan] Mes critiques en 2012

Modérateur: Dunandan

Taxi driver - 8/10

Messagepar Dunandan » Mer 24 Oct 2012, 15:18

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Taxi Driver, Martin Scorsese (1976)

A partir du script autobiographique de Paul Schrader, Martin Scorsese nous livre avec Taxi Driver sa vision de l'après-Viêtnam, pas au sens de personnelle, mais parce qu'il dépeint ici un milieu qu'il connaît par coeur, les bas-quartiers de New-York, au coeur de l'éclatement de la morale sexuelle avec la prolifération des cinémas pornographiques et des prostituées. Nous suivons un rescapé de cette guerre, qui a choisi d'être chauffeur de taxi de nuit (Robert de Niro) car il est insomniaque. Au lieu d'insister sur le traumatisme en lui-même, l'une des forces du film est d'en suivre les conséquences (rendant ainsi ce destin universel, non uniquement dépendant des forces socioculturelles qui l'ont engendré), essentiellement traduit par une voix-off qui reflète son mal-être intérieur, une mise en scène qui se met à la hauteur de son personnage principal en épousant ses errances nocturnes au sein de ces quartiers mal-famés - à la fois symptômes et support du vide idéologique moral et politique de cette période - et surtout l'interprétation incarnée de Robert de Niro qui s'efface derrière son personnage tourmenté par un passé que l'on suggère seulement, et qui s'emmure progressivement dans une solitude faisant germer des pulsions qui le conduiront jusqu'à la folie.

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Malgré une réalisation au diapason, marquée par une maîtrise du travelling, de la photo-réalité, et une modernité épatante, j'ai un peu plus de réserve quant au rythme de l'histoire racontée. Après une introduction qui nous plonge dans la peau du personnage, et nous fait prendre le pouls d'une ville malade qui fait vaguement penser à la même situation que les films d'après-guerre portant sur Tokyo (notamment ceux de Kurosawa), le film prend une direction digne de la Nouvelle Vague en affichant une relation en demi-teinte, jouant avec les différences sociales et culturelles, avec une militante d'un parti politique. Malgré un traitement que j'apprécie moyennement, il faut reconnaître que c'est beaucoup mieux réalisé et interprété que les films de Truffaut (et heureusement). Ce que ce personnage cherche : résoudre d'une part ses contradictions entre ses valeurs de respect de soi et la réalité contaminée par le mal environnant, et d'autre part son besoin de normalité. Cette partie-là prend beaucoup de temps à mon avis, rythmée par une musique lancinante au saxo trop souvent reprise, bien que la langueur qui entoure ces pérégrinations nocturnes soit pertinente pour bien marquer la solitude du personnage principal. Après avoir proposé un porno (!) nous comprenons que ça va pas le faire, mais surtout cette déception amoureuse n'aurait pas la force ni la pertinence qu'elle a sans un bref revirement de situation vers une puissante reprise en main de soi, se traduisant par une révolte unilatérale contre le "système" (et par extension le parti de cette femme), qui ne comprend pas vraiment les marginaux comme lui ou ne fait rien pour changer la donne. Bref j'ai été impressionné par la cohérence du projet visant à souligner ce bouillonnement pulsionnel qui ne parvient pas à trouver de solution dans la réalité, tant sexuellement que politiquement parlant.

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L'autre aspect qui fait que ce film est mémorable est bien sûr la relation entre le chauffeur de taxi et la jeune prostituée (Jodie Foster). D'abord à cause de son jeu tout à fait étonnant, à la fois crédible et subtil, d'autant plus pour une fille de son âge. Elle parvient à nous faire douter de sa situation réelle : fait-elle cela par plaisir, parce qu'elle est forcée, ou encore par rébellion ? Puis elle incarne, à l'instar de Léon qui s'en est très certainement inspiré, une forme d'innocence à protéger à tout prix contre la souillure qui guète la ville entière, après l'échec de l'attentat politique de Bickle. S'il ne peut agir en haut de l'échelle, au moins essaie-t-il d'en sauver une à son niveau. En outre, nous avons l'occasion d'apercevoir Harvey Keitel en mac en cheveux longs, un rôle vraiment atypique pour lui, qui loin des clichés, est certes décrit comme un pauvre type, mais nourrit une relation ambiguë avec la jeune fille, en étant à la fois incestueux, tendre, et protecteur.

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Pour terminer, la fin est réellement explosive et poisseuse, dont le déchaînement de violence est à la mesure de la colère et de la frustration qu'abrite le chauffeur de taxi contre la gangrène qui mine ces quartiers. Le plan emblématique, le montrant en train se suicider avec une arme imaginaire, est extraordinaire, et synthétise toute l'ambiguïté du personnage, détruisant et détruit tour à tour par ses valeurs et son environnement anxiogène. Enfin le dénouement final frappe par son changement de ton qui, loin d'être un happy end, apparaît plutôt comme une ironie. En effet, devenu logiquement (?) un héros pour les démunis ou ceux qui ne sont pas entendus par la politique en sauvant cette adolescente des griffes de la pègre, nous avons l'impression qu'il rentre dans le rang après avoir fait son "travail", rendant ainsi le propos qui précède apparemment beaucoup moins intense et percutant. Mais en réalité, cette normalisation du comportement révèle aussi autre chose : que son action individuelle n'a eu qu'une portée réduite et que la fracture sociale demeure entière en commençant par lui. L'encensement de ses actes ne reflète ici qu'une société qui proteste contre une politique l'ayant oublié, mais qui ne fera rien pour bouger les choses. De son côté, rien ne dit qu'il est "sauvé" en ayant agit ainsi, comme le montre ce plan final sur le rétroviseur qui suggère en effet un désir qui est loin d'être comblé et éteint. Bref, une fin ouverte bien plus subtile qu'elle en a l'air, et qui comme tout le film, ne se laisse pas apprivoiser immédiatement malgré sa limpidité apparente.

Plus qu'un film d'acteurs saisissant parfaitement l'atmosphère nocturne et malsaine de cette modernité post-Viêtnam, un beau réquisitoire morale, politique, et sexuel contre l'incompréhension sociale des marginaux, qui se distingue par un réservoir d'images et de symboles à la fois marquants et à lectures multiples.
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Messagepar Mark Chopper » Mer 24 Oct 2012, 16:34

La conclusion est plus subtile que ça (le coup du regard dans le rétroviseur).

Un film que j'adorais à une époque, mais qui me laisse de marbre aujourd'hui. Plus un film de Schrader et De Niro que de Scorsese, à mon sens.
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar Dunandan » Mer 24 Oct 2012, 16:43

C'est justement pour ça que j'ai évoqué le coup du fantasme (ou pour aller moins loin, en effet la distance "polie" que t'as évoqué qui demeure entre-eux).

Sinon je ne connais pas ce scénariste, mais je trouve que le milieu décrit est quand même très proche de l'univers de Scorsese, les mafieux italiens en moins. On s'en rend bien compte dans Mean Streets qui propose une peinture de moeurs comparable. Mais j'ai quand même introduit la nuance dans mon premier § :wink:

Edit : j'ai ajouté une petite phrase dans mon dernier § qui exprime les deux sens que j'ai "ressenti" dans la conclusion.
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar maltese » Mer 24 Oct 2012, 17:11

Concernant la fin de Taxi Driver,
je trouve ça surtout très ironique, car le personnage de Travis avait surtout des pulsions, un trop plein de violence, de dégout, etc. à déchaîner. Il aurait dû se "libérer" en tuant le candidat à la présidence, ce qui aurait fait de lui un ennemi public pointé du doigt par tous; le fait qu'il ait échoué dans sa tentative le "contraint" finalement à déverser cette violence sur les macs, et du coup, il devient un héros. Mais ce dernier regard dans le rétroviseur est aussi intéressant, comme s'il était devenu un vigilante, prêt à recommencer, une bombe à retardement qui redéversera sa violence bientôt. Je ne trouve donc pas cette fin vraiment "salvatrice"...
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar Dunandan » Mer 24 Oct 2012, 17:46

Ah je ne l'avais pas compris comme ça, mais plutôt comme une fracture sociale qui se creuse puis point barre. Puis j'aurais du lire d'abord que le scénariste était calviniste, j'aurais mieux compris ainsi :eheh:


Bon après confirmation avec d'autres analyses, j'ai effectué quelques dernières modifications dans le dernier § pour mieux mettre en valeur l'ambiguïté de la fin, et du coup, mieux la comprendre m'a permis de rajouter un demi point, à cause de laquelle je freinais un peu mon frein :super:
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar Heatmann » Mer 24 Oct 2012, 18:07

ouai c'est exactement ca maltese :super: y a aussi le son que bickle entend a la toute fin avant le generique , marty a souvent et longuement expliquer que bickle etait clairement un "vilain" et pas le heros que les news ont fait de lui et qu'il est comme un bombe pret a eclater encore une fois a tout moment ( oui et pis le regard dans le retro toussa .. )
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar Dunandan » Mer 24 Oct 2012, 18:26

Même en ayant pas compris certaines subtilités de la fin, je voyais bien que c'était pas un "pur" héros (seulement pour l'opinion générale), mais j'avais juste l'impression qu'il s'en sortait trop facilement. Mais visiblement pas après avoir montré toute l'ironie du "truc" ...
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Tokyo Godfathers - 3/10

Messagepar Dunandan » Ven 26 Oct 2012, 02:08

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Tokyo Godfathers, Satoshi Kon (2003)

Clairement le pire anim' japonais que j'ai vu, pourtant friand des histoires belles et naïves avec un bébé (surtout quand un samouraï s'en occupe, suivez mon regard ...). Mais là j'ai trouvé ça insupportable de bout en bout. Presque aucune empathie pour cette famille recomposée de SDF, et encore moins pour leur quête "divine" de ramener le bébé au bercail, sachant que le film se centre uniquement sur le bien que va faire ce dernier sur leurs existences misérables, qui leur rappele l'avalanche de petits malheurs les ayant menés à leur perte.

C'est creux, long malgré sa courte durée, redondant, bourré de bondieuseries en commençant par l'introduction qui n'évitera pas tel un éléphant lancé en pleine course la symbolique chrétienne des Trois Mages. Ensuite les petits moments de poésie tombent le plus souvent à plat, noyés par la réaction bouffonne des protagonistes, empêchant toute implication de ma part. Enfin, ces rencontres fortuites du destin dans une mégalopole telle que Tokyo, c'est bonnement impossible. Puis ce climax éreintant avec cette course au bébé qui n'en finit pas ...

Deux petits points m'évitent de trop saler la note : le cran d'identifier le héros providentiel avec un transsexuel malgré un traitement trop forcé, et un graphisme correct proposant parfois de belles images de Tokyo. Bref, un conte de Noël qui a le cul entre deux publics, car trop niais pour les adultes, mais trop grave voire dérangeant pour les enfants. Une chose qui me rassure, c'est de savoir que ce film est la petite crotte au milieu d'une courte mais riche filmographie.

Note : 3/10
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar Dunandan » Ven 26 Oct 2012, 02:42

Sinon quelques changements de note :
- Taxi Driver : 7.5 => 8 (Les "défauts" que j'avais aperçu au début se sont nettement atténués dans mon esprit, et suivant mon habitude j'ai modifié ici et là des trucs dans ma critique :mrgreen:)
- USS Alabama : 7.5 => 7 (trop prévisible : un film à voir tous les 5-10 ans maximum)
- La chasse : 7.5 => 7 (à cause des "blancs" narratifs qui me gênent quand même plus que prévu)
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Messagepar Pathfinder » Ven 26 Oct 2012, 05:58

Mais tu les édites combien de fois tes critiques??? :mrgreen:
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar Heatmann » Ven 26 Oct 2012, 08:49

dunandan a écrit:Sinon quelques changements de note :
- Taxi Driver : 7.5 => 8 (Les "défauts" que j'avais aperçu au début se sont nettement atténués dans mon esprit, et suivant mon habitude j'ai modifié ici et là des trucs dans ma critique :mrgreen:)


eh ben voila, 8 c'est mieux que le 7 que tu lui avait mit au debut :super: ca fesait tres "alegas" ce 7 d'ailleur :mrgreen:
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar Logan » Ven 26 Oct 2012, 08:52

Tu veux pas changer ta note à Vorace non plus Dunandan, elle fait très "alegas" et vu qu'il a mis 7,5 pour te défaire de son emprise tu devras mettre au moins 8,5/10 (bon j'essaie aussi :eheh: )
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar Dunandan » Ven 26 Oct 2012, 11:34

:nono: (mais bien essayé)

Non mais là celui-là faut que je le revois, et au mieux, de le revoir avec stf pour ne pas "diviser" mon cerveau.

La différence avec Taxi Driver, c'est que je suis revenu sur certaines choses qui m'ont gêné et que j'ai relativisé par rapport aux "forces" du film, alors que pour Vorace, c'est encore confus pour moi. J'essaie de moins actualiser mes critiques, mais parfois c'est plus fort que moi quand je m'aperçois que j'ai oublié des trucs importants ou que j'ai mal interprété certains trucs qui pourraient altérer ma première impression ... :mrgreen:.
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar Mark Chopper » Ven 26 Oct 2012, 11:42

Mais tu restes une quiche en anglais malgré tous les films que tu vois en VOSTA ?
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar Dunandan » Ven 26 Oct 2012, 11:50

Disons que je garde un petit côté "concentré" qui m'emmerde et qui m'empêche de rentrer totalement dedans, surtout quand je suis un peu fatigué (c'était le cas pour ce film), mais ça m'arrive heureusement que dans 1 cas sur 10. J'espère que je n'aurai pas ce problème pour mes deux prochains films ... (un Suzuki et un Naruse pour mémoire)
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