SORCERER-------------------------------------------
William Friedkin (1977) |
9/10 Sacrée bobine que cet hypnotique sorcerer. En signant un remake de l'excellent salaire de la peur, Friedkin prenait le risque de la comparaison avec un film qui traitait déjà son propos avec virtuosité. C'est donc avec l'envie d'apporter à ce récit de kamikaze sa touche personnelle qu'il s'est attelé à la tache. Le résultat est on ne peut plus à la hauteur, parvenant sans difficulté à égaler son parent. Le plus remarquable dans ce remake, c'est que même si les similitudes de script sont évidentes avec le film de Clouzot, il s'en détache véritablement grâce à l'ambiance mise sur pied par un réalisateur décidément intrépide et fin orfèvre en matière d'imagerie.
Dans le même temps Friedkin réussit à ne jamais dénaturer le matériau dont il s'inspire et à lui conférer une atmosphère radicalement différente. Si dans le film du français, les personnages sont plutôt bon enfant, égarés dans un espace où le temps semble figé dans une léthargie profonde, dans celui de l'américain, les conducteurs sont tout sauf amicaux, entre un cinglé prêt à écraser des gamins, un homme d'affaire qui a poussé au suicide son beau frère ou le rescapé d'un braquage musclé, on peut dire qu'ils sont tous plutôt gratinés, ce qui ne manque pas d'amplifier le côté mystique du film, pour lui donner un arrière goût de purgatoire avant l'heure. Comme si nos quatre compères s'embarquaient dès le début des hostilités pour un voyage dont l'issue était déjà toute décidée. Les pauvres bougres ne peuvent que retarder l'inévitable et mettre toutes les chances de leur côté pour tenter de faire basculer le destin. Toute la partie où ils donnent vie à leurs monstres de métal pour en faire des destriers intrépides à l'épreuve d'une jungle hostile abonde vraiment dans ce sens. Aucun dialogue, concentration, résignation presque, pour essayer de limiter les aléas d'une mission qui s'annonçait déjà fatale sur le papier.
Friedkin sème généreusement bon nombre de pistes pour donner de l'ampleur à son film et en faire bien plus qu'un simple ouvrage d'aventure couvrant un voyage suicidaire. The sorcerer, à l'image de ce titre énigmatique, semble se faire l'écho d'une quelconque malédiction qui aurait touché les protagonistes de l'histoire. Le rescapé de la bande en fera d'ailleurs les frais au fur et à mesure qu'il approchera de son but final. Cette tension, limite fantastique par moment, est exacerbée par la mise en scène magistrale de Friedkin, qui livre ici un travail titanesque pour sublimer chaque séquence. LA scène du film, lors de laquelle les deux camions passent sur un pont suspendu sur lequel même Indy ne se serait pas aventuré, est tout simplement magistrale. On y ressent un réalisme qui nous transporte immédiatement au coeur de l'action, comptant chaque seconde séparant nos équipages de la sortie salvatrice d'un manège instable qu'il leur est impossible d'éviter. Pour que cette mise en scène, en plus d'être virtuose, finisse par devenir efficace, ce qu'elle est assurément, Friedkin mène ses acteurs avec beaucoup d'inspiration. Le casting de Sorcerer n'est en effet pas pour rien dans la réussite du film. Les quatre protagonistes sont criants de réalisme et apportent tous leur pierre à l'édifice. Roy Scheider est impérial et son physique de monsieur tout le monde, en plus de donner du crédit au côté dépressif de son personnage, permet au spectateur de s'y identifier très facilement.
Enfin, lorsqu'un remake de ce calibre nous est offert, difficile de ne pas se plier à un petit bilan comparatif entre le rejeton et son parent. Je mets, pour ma part, les films à l'équilibre sur la balance de ma préférence. Si je préfère le film de Friedkin en terme d'ambiances et d'exposition des personnages, je trouve que celui de Clouzot a pour lui un impact plus fort sur certaines séquences, je pense notamment à ce moment qui voit l'un des deux camions s'évaporer dans les airs qui était bien plus fort en impact dans le film du français. Par contre, avantage au Friedkin pour la conclusion de l'histoire, qui est plus fluide que celle de Clouzot.
Dans tous les cas, on est bien en présence de deux chefs d'oeuvre et Sorcerer sort de l'exercice du remake avec plus que les honneurs. Véritable oeuvre originale à part entière, dans laquelle Friedkin a su incorporer sa personnalité et tout son génie pour créer des atmosphères glauques, malsaines, presque irréelles. Un bout de cinéma on ne peut plus magnétique.[/justify]