Melville est un faiseur d'ambiance de génie, armé d'un sens du cadre à toute épreuve, il hisse chacun de ses films à un tel niveau formel qu'il est difficile de ne pas être envoûté par tant de maîtrise. Le deuxième souffle porte bel et bien cette marque, chaque séquence est composée avec justesse entre direction d'acteurs au millimètre et espace sculpté avec finesse par des lumières qui se laissent apprivoiser. Certains diront que le film est froid, et ils n'auront pas tort, mais c'est en soi un tour de force de réussir à mettre sur pied des ambiances à la fois pleines de choses à raconter mais aussi complètement dénuées d'états d'âme.
Le deuxième souffle est une oeuvre qui nous plonge au coeur du grand banditisme, où le code d'honneur est primordial et plus important qu'une vie humaine. Ventura est l'incarnation d'un mode de pensée qui se perd, le gangster droit dans ses bottes qui paradoxalement, est digne de confiance. Face à lui se dresse la nouvelle génération, cupide, ambitieuse mais dépourvue d'un sens de l'honneur qui semblait diriger jusqu'alors le milieu. N'hésitant pas à revenir sur leur parole, ces derniers semblent être pareils à des girouettes qui se placent dans le sens du vent. Tout le film est vraiment passionnant à ce niveau, cette guerre entre deux générations est au centre du script et c'est tant mieux. Melville ne s’embarrasse pas de pistes inutiles, son histoire est focalisée sur Gu' et les personnages qui gravitent autour de lui, entre vieille école et nouveaux venus prometteurs mais peu fiables. En prenant également son temps pour construire son film, l'exposition des personnages est loin d'être anecdotique et leur confère une vraie envergure, le cinéaste peut se permettre de ne pas nous donner toutes les réponses aux questions qu'on se pose. En effet, s'il développe chaque personnage dans leur individualité, il ne s’embarrasse pas à expliquer les relations qui existent entre eux. A nous, spectateur, de nous faire notre propre avis et de réussir à saisir les indices qui nous sont donnés, au compte goutte, par le marionnettiste de ce film extrêmement dense.
Si le deuxième souffle passionne à ce point, c'est également grâce à ses acteurs qui sont au diapason. En premier lieu, Ventura bien évidemment, impérial et charismatique à souhait, il inonde comme à son habitude de son magnétisme chaque bout d'image qui le met en scène. C'est un régal de le voir se mouvoir à l'écran, impitoyable, sans état d'âme, jamais hésitant mais pourtant profondément humain, il incarne à merveille ce vieux gangster qui n'a pas froid aux yeux et conserve de beaux restes. Vient ensuite un panel de seconds rôles qui ne dépareillent pas avec le très juste Lino. A commencer par un personnage aussi charismatique dans son genre, Orloff, joué par l'excellent Pierre Zimmer. Toutes les scènes l'impliquant sonnent comme des leçons de classe à la mode gangster, se jouant des nouveaux venus dans la profession comme un professeur singerait sa relève. Le reste du casting est également de haute volée, Paul Meurisse apporte au film une opposition de premier plan, amusant et efficace, à l'image de cette séquence au début du film où il donne les réponses à la place de ses témoins. il est finalement l'un des seuls vecteurs de légereté du film et sa présence suffit à laisser retomber une atmosphère aussi noire que le charbon.
Au final, difficile de prendre le deuxième souffle en défaut tant tout semble harmonieux. Entre photographie qui sait surprendre, réalisation inspirée, script dense, acteurs dirigés au millimètre et ambiance sonore sans fantaisie car en empathie avec le ton du film, ce Melville s'impose comme une référence en matière de polar à l'ancienne.