Black Death, Christopher Smith, 2010
Gros gros coup de cœur que ce brillant film médiéval signé Christopher Smith, un réalisateur qui m'avait intéressé avec son très efficace
Creep mais qui par contre m'avait nettement déçu avec son bordélique et outrancier
Severance. Ici, il s'éloigne considérablement du film d'horreur pour se pencher sur le film historique, et plus particulièrement le XIVème siècle et l'épidémie de Peste Noire que connut alors l'Europe. Enfin quand je dis qu'il s'éloigne du film d'horreur, ce n'est pas complètement le cas car
Black Death propose une ambiance très noire, extrêmement mortifère (la mort est partout tout-au-long du film, que ce soit dans les cadavres décharnés des victimes du fléau ou dans les exécutions sommaires au nom de Dieu), et le réalisateur insiste sur une violence très graphique, parfois à la limite du gore (les combats sont très violents et réalistes, les têtes tombent, les membres sont arrachés, le sang gicle... on est loin d'un certain cinéma hollywoodien plus sage dans sa représentation de la violence). Le film se pare presque constamment d'une imagerie macabre, renforçant l'atmosphère lourde d'un monde au bord du gouffre, et ce n'est que lorsqu'on arrive au village qu'on obtient un répit (lequel n'est qu'illusoire, comme le film nous le montre bien vite).
Rarement un film aura proposé une vision du Moyen-Age, aussi sèche, noire et morbide. La photographie, affichant volontairement des couleurs pâles et un grain prononcé, accentue ce côté froid et déprimant, c'est tout le contraire des visions idéalisées et épiques dont le cinéma nous a gratifié par le passé :
Black Death nous dépeint une monde violent, sauvage et dénué d'espoirs. Mais plus on avance dans le film, plus le groupe de personnages se rapproche de leur destination, et plus cette vision du monde s'adoucit : au sinistre spectacle des fosses communes et de la pourriture dans les rues des cités contaminée se substitue la beauté sauvage des paysages accidentés, des forêts ancestrales et des marécages brumeux. En somme, le film semble nous dire que c'est en s'éloignant de Dieu et en se rapprochant des croyances païennes que l'on s'élève au-dessus des souffrances du monde, pour retrouver la beauté de la nature. La religion prend d'ailleurs un sacré coup dans l'aile avec ce film, la troupe d'envoyé de l'évêque étant loin d'être constituée d'enfants de cœur (même si on s'attache malgré tout à eux, particulièrement à Sean Bean et au personnage du narrateur), et on assiste à une démonstration de colère d'une foule fanatisée contre une pauvre femme accusée de sorcellerie. Et, plus que tout, le message final et l'évolution du personnage principal est d'un pessimisme et d'un nihilisme rarement vus, et nous laisse à penser que, finalement, le jeune homme a fait le mauvais choix...
Le scénario est également particulièrement réussi, lorgnant dans un premier temps du côté du road-movie (les personnages traversent des contrées inhospitalières pour atteindre un village perdu épargné par la peste), pour ensuite virer au thriller fantastique et ésotérique. Le film parvient toujours à trouver une certaine justesse de ton, et alors qu'on pourrait craindre que sa deuxième partie ne vire trop dans le fantastique, le script arrive à retomber sur ses pieds et à nous livrer quelque chose de parfaitement cohérent et admirablement en phase avec les thématiques abordées (au centre duquel on retrouve l'importance de la foi). Enfin, niveau casting, outre l'interprétation de qualité des différents protagonistes (le jeune Eddie Redmayne est particulièrement convaincant dans ce rôle de moine déchiré entre sa foi et son amour pour son amie d'enfance), je salue la prestation de Carice van Houten, envoûtante et d'une beauté presque irréelle (qui par sa pureté contraste avec la noirceur et la crasse très présents dans ce film).
En bref, une formidable découverte que ce film qui gagnerait à être plus connu (je ne crois même pas qu'il ait bénéficié d'une sortie en salles... une honte quand on voit le nombre de merdes qui inondent nos écrans). Il s'impose sans peine comme l'un des films les plus réussis de ces dernières années sur la période médiévale, et délivre une expérience éprouvante et intelligente. Un grand film!
9/10