Le Cercle rouge |
Réalisé par Jean-Pierre Melville
Avec Alain Delon, André Bourvil, Gian Maria Volonté, Yves Montand, François Périer, Paul Crochet, Paul Amiot Polar, FR, 2h20- 1970 |
9/10 |
Résumé : Le commissaire Matteï, est chargé de convoyer par le train de nuit, Vogel, un dangereux malfrat. Ce dernier parvient à s’enfuir et demeure introuvable, malgré un important dispositif policier. Pendant ce temps, à Marseille, un gardien de prison propose une "affaire" à Corey sur le point d’être libéré après 5 ans d’emprisonnement...
« Quand des hommes, même s'ils s'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux, et ils peuvent suivre des chemins divergents. Au jour dit, inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge. » Dès cette phrase d’accroche Melville, place son film sous le signe du destin et se penche une nouvelle fois sur ses thématiques favorites : fatalisme, déterminisme et pessimisme hérités du film noir. Par un jeu de hasard, un ex-tolard en vadrouille croise un évadé en cavale, un certificat de sortie de prison sert de carte visite pour instaurer un respect mutuel entre deux personnages troubles qui obéissent au même code d'honneur. L’œuvre est peuplée de personnages solitaires (même s’ils semblent cheminer ensemble pour un temps) qui tentent de forcer leur destin. Une atmosphère mélancolique pleine d’amertume et de désillusions cerne ces hommes en sursis qui marchent inexorablement vers la Mort.
Avec le
Cercle rouge, le maître du polar à la française nous déclare donc, une nouvelle fois, son amour pour le film noir et nous livre sa version du film de casse en concoctant un scénario qui semble suivre un schéma classique mais qui est également la somme de toutes les péripéties qui peuvent survenir dans un film policier : truand libéré de prison, vengeance, chasse à l’homme, traque de la police, constitution d’une équipe, casse, indics, double jeu, traquenards et règlements de compte. Le
Cercle rouge est indéniablement une œuvre somme qui rappelle tout ce qui fait la force et la saveur du film de gangsters selon
Melville. Le réalisateur y mêle avec maestria l’ambiance nostalgique et la peinture du Milieu de
Bob le flambeur, le sentiment de tragédie classique du
Doulos, la puissance dramatique du
Deuxième souffle à l’épure visuelle et narrative du
Samouraï. Dans cette équation qui paraît fort simple, il est toujours question de hors-la-loi face à un ou des policiers. Cette variation sur un même thème pourrait être lassante, elle est tout simplement, à chaque film totalement passionnante. Dans le
Cercle rouge, la frontière entre les flics et les voyous est désormais particulièrement mince. Tous sont des hommes faillibles et nul n’est innocent (un gardien de prison est à l’origine du casse, un ex-policier participe au casse).
Le cinéma de
Melville est marqué par un sens du dépouillement et de l’austérité de la mise en scène, dans laquelle l’action ne doit pas être parasitée par les décors ou le spectaculaire. Les personnages sont au cœur de son cinéma, l’intrigue et les dialogues sont accessoires. Il s’attache à leurs pas grâce à de longs plans séquences et un sens du cadrage remarquable, qui sont devenus sa marque de fabrique. La psychologie de chaque personnage passe donc par l’image (attitude, précision et codification des gestes, expertise dans un domaine particulier, codes vestimentaires, indifférence face à l’échec ou la réussite qui ne sont qu’aléas sans intérêts de la providence…). Les tonalités hivernales (dominante de couleurs froides : gris et bleu), la désolation des paysages urbains ou ruraux et le silence omniprésent sont l’expression de la vision désenchantée et taciturne de ces personnages murés dans leur solitude et leurs habitudes. Dans un seul silence de
Melville il y a plus de profondeur et d’intensité que dans n’importe quel dialogue ou discours interminable. Pour exister à l’écran, ces personnages n’ont pas besoin de digressions, de flashbacks ou de background sur les motivations de chacun, c’est ce qui fait toute la force de son cinéma et confère une atmosphère si captivante à ses œuvres. A ce titre, les 25 minutes du casse du
Cercle rouge, dans un silence absolu apporte une intensité rare à cette scène. Le spectateur est littéralement plongé dans un « ballet » fascinant engendré par la concision et la dextérité des mouvements et des gestes, le rythme du montage et le jeu des bruitages.
Jean-Pierre Melville a réellement le don de choisir les acteurs qui colleront parfaitement aux personnages qu’ils doivent interpréter. Qui aurait pu imaginer qu’
André Bourvil serait aussi parfait dans le rôle à contre-emploi, d’un commissaire inflexible, déterminé, patient, solitaire et profondément humaniste.
Yves Montand est magistral dans le rôle complexe d’un ex-flic devenu alcoolique qui cherche un sens à son existence (la séquence des hallucinations est prodigieuse).
Gian Maria Volonté est doté de cette qualité rare qui lui permet d’insuffler corps et âme à ses personnages quel qu’il soit. Il est donc également parfait dans le rôle de Vogel, le malfrat pittoresque.
Alain Delon est excellent en truand flegmatique, même s’il est moins charismatique dans le rôle de Corey qu’il ne l’était dans celui du
Samouraï qui demeure le sommet de sa carrière. Les seconds rôles sont également très bons, notamment
Paul Amiot dans le rôle du cynique Inspecteur général de la police.
Le plus américain des cinéastes français, nous propose une relecture âpre, sophistiquée et mélancolique, nimbée d’un zest d’existentialisme, des codes du film noir, soulignée avec beaucoup de justesse par la partition « jazzy » d’Eric Demarsan.