Avant d'être un prince de la
Punch-line ou un réalisateur de films d'action dotés d'expérimentations visuelles issues de la pub dont
Domino représente un pic culminant, il ne faudrait pas oublier que le style de Tony Scott était avant tout fondé sur une recherche esthétique constante, comme le prouve ce curieux
Prédateurs (encore une fois, le titre original,
Hunger, est plus conforme à l'esprit du film). Unique incursion de Tony dans le fantastique, ce film multiplie les références atmosphériques. On pense d'abord pour le côté malsain et morbide, ainsi que pour le visuel gothique, au galio à la manière de Dario Argento. Le glam-rock est aussi très important lorsque David Bowie apparaît (surtout l'introduction qui ressemble à un clip musical). Et enfin le découpage fluide et la forme glacée, dont l'aspect moribond est renforcé par un effet diaphane sur les fenêtres, rappelle fortement ceux de la pub. C'est également troublant de voir dans quel contexte la colorimétrie rouge/bleu (surtout le bleu ici) si chère au réalisateur a émergé : dans celui du vampirisme, et plus précisément car ce dernier n'est évoqué que subrepticement, celui de la faim sexuelle, inter-dépendante du désir de donner la mort. Bref, la vie et la mort dans un sens brut et brutal, comme en témoigne la première prédation sexuelle, réalisée en alternance avec la montée en adrénaline d'un singe-cobaye victime d'un vieillissement précoce.
Le gros point fort du film, on l'a compris, est son ambiance si particulière, mettant en scène une temporalité dilatée, propre aux êtres immortels ou qui n'ont plus la notion du temps. Les figures froides et androgynes de Catherine Deneuve et de David Bowie correspondent parfaitement au rôle, non seulement en ce qui concerne la créature qu'ils sont censés incarner, mais aussi la nature de leur relation, sachant qu'il sera aussi question d'amour saphique dans une scène terriblement torride et sexuelle qui deviendra par la suite icône de toute une culture lesbienne.
Cependant, j'ai eu beaucoup de mal à accrocher à l'intrigue, qui s'efface quasiment devant la mise en scène et l'esthétique. C'est avant tout un film sensitif à forte tendance romantique (préfigurant, malgré le caractère atypique du film, la présence de ce motif dans toute la filmographie de ce réalisateur) où les enjeux se révèlent seulement ensuite, et tourne autour de l'appétit sexuel, de l'amour à vie, de la peur de vieillir, et enfin du sentiment d'immortalité. Puis ça brode autour, de manière assez répétitive, entre vieillissement précoce de l'un d'entre eux (maquillage très réussi), musique classique à trois, prédation, et expériences scientifiques sur le lien existant entre horloge interne et vieillissement, pour ainsi créer un semblant d'histoire vraiment très légère. On peut voir aussi ce film comme icônisation de ces deux acteurs (comme le fera ensuite Tony avec Tom Cruise), à l'époque au firmament de leur art et gloire, immortalisés ainsi dans la forme papier-glacé de ces images. Pour terminer, je le conseille avant tout aux amateurs du style de Argento auquel le film se rapproche énormément, mais le rythme pesant ainsi que la musique puisant largement chez Ravel (présente également chez
Barry Lyndon) et les effets de synthétiseur, peuvent fortement lasser le spectateur.