Killer Joe de William Friedkin
(2012)
N'ayant vu à sa sortie aucun des films contemporains de William Friedkin (si ce n'est le moyen
Rules of Engagment qui se reposait beaucoup trop sur son duo d'acteurs), je n'attendais rien de spécial de
Killer Joe au point d'avoir volontairement évité les trailers du film. Du coup, la surprise n'en a été que plus grande, le film de Friedkin s'imposant comme l'une des plus jolies surprises de cette année. D'entrée,
Killer Joe étonne de par son parti-pris formel. A l'instar de son précédent
Bug, Friedkin délaisse l'approche quasi-documentaire de sa grande période, préférant le cadre fixe pour mieux saisir le propos qu'il transpose à l'écran.
Killer Joe est, tout comme
Bug, une adaptation d'une pièce d'origine théâtrale, et si cela se ressent moins que dans ce dernier (les unités de lieux étant bien plus variées, le huit-clos faisant son apparition seulement dans la dernière demi-heure du métrage), le film dégage tout de même cette identique impression d'une image clôturée, rendant les personnages ainsi que le spectateur prisonnier de ce récit atypique. Fable tragique et terriblement glauque,
Killer Joe dépeint ainsi la rencontre d'une famille autodestructrice qui s'ignore avec l'image contemporaine du Mal incarné en la personne de Joe Cooper, flic texan au charisme ténébreux permettant au commun des mortels de toucher du doigt le mythe du crime parfait. Si le synopsis peut faire penser d'entrée à un polar noir des frères Coen, Friedkin impose clairement sa patte en annihilant toute forme de pensée ludique (si ce n'est l'humour noir qui transparaît sur certaines situations et dialogues) mais aussi en traitant de ses thèmes fétiches. Ainsi,
Killer Joe à l'instar de
Sorcerer ou
Bug, multiplie ses niveaux de lecture via son traitement sans concession d'une nature humaine vouée à la destruction. Difficile de ne pas voir en Joe Cooper le Diable fait homme, usant de la séduction aussi facilement que de l'ultra-violence, et difficile de ne pas établir de liens entre le final du film et celui de
Bug qui se ressemblent bien plus qu'il n'y paraît.
Chose étonnante, le récit est loin d'être centré sur son personnage-titre, et c'est finalement le personnage de Dottie qui se révèle être le point central du métrage, au point de renverser complètement la balance dans les cinq dernières minutes qui réduiront à néant tout ce que le spectateur peut penser individuellement des différents protagonistes. Sur la forme, encore une fois,
Killer Joe se rapproche évidemment de Bug, avec qui il partage cette diversité des placements de caméra, cette favorisation du plan fixe mais aussi cette folie ambiante qui fait constamment douter le spectateur sur la nature de ce qu'il a devant les yeux (on a tout de même deux scènes de viol qui n'en sont pas véritablement). Alors oui, l'expérimentation présente sur Bug a disparue, mais cela n'empêche pas au film de posséder une efficacité de premier ordre, en témoigne les premiers plans de Joe qui caractérisent rapidement le personnage. Quand au casting, Friedkin démontre une nouvelle fois sa capacité à diriger de main de maître ses acteurs. La totalité de la distribution est excellente, mentions spéciales à Matthew McConaughey qui trouve là ni plus ni moins que le rôle de sa vie ainsi qu'à Thomas Haden Church parfait en redneck constamment paumé. Œuvre au récit classique transcendé par la volonté de Friedkin de chambouler son public et ses personnages,
Killer Joe s'impose d'emblée comme une réussite à tout les niveaux. Clairement l'un des meilleurs films de cette année 2012.
NOTE : 7,5/10