Sleepers
8.5/10Petit miracle dans la carrière d’un réalisateur formaté pour les oscars, Sleepers de Barry Levinson est au carrefour de nombreux genres. Le film se permet d’emprunter l’imagerie de l’enfance d’Il était une fois en Amérique tout en ancrant son histoire de vengeance dans un contexte très Goodfellas avec une pointe de Stand by me. Les références sont illustres, très disparates mais Levinson arrive à se les approprier avec une insolente réussite signant au passage son film le plus dense et surtout le moins pataud.
Pourtant lorsqu’on le dissèque, l‘histoire fait une nouvelle fois l’apologie d’une justice coute que coute avec des protagonistes qui n’hésiteront pas à utiliser tous les moyens (la justice mais aussi celle de la rue) pour arriver à leurs fins. Sur la forme, le réalisateur évite l’écueil du « vigilante » en donnant beaucoup plus d’importance au drame et à ses conséquences. Chacun vivra et gèrera à sa façon le poids de la honte et leurs destinées respectives en seront changées à tout jamais. Le réalisateur prend donc son temps fractionnant son film en 3 parties distinctes. Et malgré la caution (très discutable) d’histoire vraie, Levinson ne cède jamais à la guimauve (et pourtant il est coutumier !) mixant de nombreux univers au gré de la chronique mafieuse, du film de tribunal et du drame humain. Avec un profond respect pour ses personnages, le réalisateur décrit en détail le quotidien de ces quatre gamins, distillant une pointe d’humour Scorcesien dans sa description d’un quartier italo-américain avant de livrer le ressort dramatique. Le faux rythme cool se brise proposant une transition abrupte vers un univers carcéral adolescent sans pitié. Sans jamais céder à la violence graphique inutile, Levinson entretient donc un climat poisseux et pesant dominé par un Kevin Bacon diabolique et toujours aussi excellent dans les rôles de fumier. A ce stade, on notera la partie de football contre les gardiens, bouffée d’oxygène qui restera le vrai moment épique du film. Le revers de la médaille sera d’autant plus violent psychologiquement et contrebalancé par la magnifique et onirique séquence du cachot.
La conclusion est aisément prévisible mais la troisième partie livre du bon film prétoire avec un Dustin Hoffman en mode pince sans rire qui arrive à voler la vedette à l’ensemble du casting. A ce sujet le parterre de stars est globalement bien géré et chacun va bénéficier d’une vraie scène (Patric et Pitt sont bizarrement plus en retrait). Je pense notamment à cet intense regard d’un De Niro face à un immense dilemme allant à l’encontre de ses croyances. Le spectateur prend donc bien conscience de l’importance du père, le replaçant de facto au centre du climax final. L’espace de quelques longues secondes, il rappelle à tous pourquoi il a été un immense acteur. Le final livre donc son verdict. Les victimes se vengeront de leurs bourreaux. La justice se fera dans le sang pour chacun d’eux. Je passerais donc vite sur cet aspect là pour me focaliser sur le vrai point fort du film, ses personnages. Tantôt brisés, tantôt tiraillés, tantôt bourreaux, tous ont bénéficié d’une écriture soignée donnant ainsi une vraie âme à cette énième vendetta adaptée au cinéma. Ils arrivent meme à détourner l’histoire de sa fonction première pour en faire une vraie chronique humaine, une tranche de vie sans aucune forme de sensationnalisme hollywoodien. Je mettrais juste un bémol sur la dernière scène (le repas) absolument pas cohérente. On connait le devenir de deux d’entre eux. L’empathie était déjà énorme pour chacun d’eux et nous n’avions pas besoin de ce simili happy end.
A part ça, le film se revoit toujours aussi bien et mériterait même d’être plus connu du grand public.