Même si selon moi Kubrick a véritablement trouvé et forgé son style et son génie formaliste seulement à partir de
2001 Odyssée de l'espace, il ne faudrait pas négliger les oeuvres qui ont précédé, sauf peut-être
Spartacus (pas mauvais du tout, mais simplement, en tant que film de commande il ne portait pas vraiment sa marque), qui étaient déjà marquées par son sceau dans le fond.
Dr Strangelove, satire de la Guerre froide dans un contexte tumultueux (ne pas oublier que la menace des missiles de Cuba ne date que de deux ans avant cette réalisation), dernier film avant cette grande période, est doté de cet humour féroce contre la bêtise humaine qu'on retrouvera plus tard, et qui décidément me fait encore penser à du Coen après
L'ultime razzia, et je pense ici à
Burn after reading. Malgré sa réputation, j'avoue que j'ai été un peu déçu, bien que je puisse imaginer quel effet il devait avoir dans ce contexte de peur et de paranoïa généralisée. Le ton général est plus grinçant et subversif que véritablement drôle, le rythme est parfois un peu à la traîne car trop verbeux et cérébral, et enfin la forme est plus discrète qu'à ce que Kubrick nous a habitué, mettant surtout en valeur l'interprétation des acteurs et les personnages incarnés.
L'introduction nous avertit de l'universalité d'un tel récit, qui pourrait s'appliquer à n'importe quel cas de conflit armé. Malgré les défauts du film, on ne peut qu'admirer l'impression prophétique qui s'en dégage. Nous suivons trois groupes de personnages en parallèle. Le conseil militaire du Pentagone, l'équipage d'un bombardier, et enfin un Général de l'armée accompagné de son second. On suit l'escalade de la peur militaire, déclenchée par ce Général, basé sur l'idée d'une arme secrète pouvant détruire toute vie sur terre. Il y a certains moments assez drôles, comme la détermination affichée par l'équipage de l'avion avec par exemple le pilote qui se coiffe alors de son chapeau de cow-boy (avec la petite musique nationaliste, dont l'utilisation décalée est plus connue dans
Die Hard 3, ça fait son petit effet), le second qui s'inquiète du comportement du Général qui va jusqu'à mener une confrontation armée entre soldats américains pour mettre son plan à exécution, ou encore le conseiller scientifique du Pentagone qui peine à réfréner ses tendances nazi. L'un des gros points fort du script est la manière dont il tourne méticuleusement en ridicule le fanatisme des militaires à ses trois niveaux principaux (même si j'aurais voulu que ça aille un peu plus loin dans la satire) : la faille de la chaîne de commandement, la bêtise de l'obéissance, et le délire de toute puissance du Général. Le dénouement final fait assez froid dans le dos, se rapprochant de la théorie d'élimination des nazis.
Mais ce qui est surtout à retenir dans ce film imparfait, moins dans son fond, qui sait mettre à nu avec brio, par l'humour, l'esprit humain qui s'abrite derrière le sérieux dangereux du jeu de la guerre, que dans sa force d'impact : c'est l'interprétation du caméléon Peter Sellers qui incarne trois personnages, et se donnant bien souvent la réplique. A lui seul, il représente le subalterne désabusé, le président sage, et le savant fou, à savoir trois visages complémentaires que l'homme peut prendre face à une menace aussi terrible que le nucléaire. Une performance d'acteur qui aurait bien mérité un oscar. D'autre part, le sens du cadre (notamment les gros plans) est ici mis à contribution des personnages, les sondant dans la folie, la peur, ou encore la frénésie. Enfin il y a bien sûr ce plan quasi final du pilote accroché à la bombe, au comble de son excitation comme s'il faisait du rodéo sur une vache.