Sorcerer
9/10Fraichement auréolé des succès publics et critiques que sont French connection et l’Exorciste, William Friedkin se sent pousser des ailes et s’atèle à l’un des plus gros parpaings de suspense existant, le remake du Salaire de la peur.
Mais fidèle à sa réputation, le réalisateur va contourner l’écueil du simple copié collé pour s’en accaparer totalement la moelle et livrer un monument de suspense désabusé. Tout d’abord, il va bien prendre son temps pour décrire la destinée de quatre hommes obligés de quitter leur pays respectifs pour de sombres raisons. Le décor est planté d’emblée avec quatre anti-héros qui n’auront rien de sympathique et dont l’empathie du public sera le cadet des soucis de Friedkin. Seul Crémer pourra prétendre à un certain égard. Le casting de gueules cassés participe grandement à l’ambiance poisseuse et lourde. Et même si le rôle titre devait revenir à un certain Steve McQueen, Amidou, Roy Scheider, Francisco Rabal et l’étonnant Bruno Crémer imposent leurs présences tout au long de ces étouffantes 120 minutes. Nichés dans un bidonville sordide, sorte de purgatoire à la mesure de leurs méfaits respectifs, les quatre hommes acceptent une mission suicide, source d’exutoire pour certains et forme de suicide pour d’autres. A la tête de deux camions retapés à la hate (efficace scène de réparation), ils devront convoyer une cargaison blindée de nitroglycérine à travers la jungle.
Nous sommes donc en 1977 et pas l’ombre d’un CGI ne point à l’horizon. Friedkin va donc se fendre d’un tournage dantesque au nouveau Mexique et en République Dominicaine afin de recréer l’enfer climatique et psychologique que vont vivre les hommes du convoi. Et une seule séquence suffit à montrer le tour de force gonflé du réalisateur. Le passage du pont suspendu par les deux camions doit être montré dans toutes les écoles actuelles pour sa maitrise extrêmes de la tension mais aussi pour le réalisme d’une mise en scène au cordeau. La pluie, le courant, le pont qui se balance, il n’en faut pas plus pour l’on se ronge les ongles jusqu’au sang. La séquence est très longue et jamais redondante puisqu’elle explore les personnalités de chacun face à un environnement impitoyable. Mais la seconde partie ne se résume pas qu'à ce monument de bravoure. On va également se prendre en pleine poire l’explosion du tronc d’arbre et sa préparation hypnotique, la fusillade avec les guerrieros, le trip halluciné de Scheider (merci Tangerine Dreams pour une fois !) et surtout le sort réservé à ce quatuor condamné d’avance, surprenant pour certains et marqué au fer rouge pour d’autres.
Sorcerer peut être considéré à juste titre comme LE film somme de suspense. Je faisais allusion, il y a peu à Duel. Je recommande aux fans aveugles de Spielberg de se pencher sur un vrai truc d’homme et de revoir leur jugement immédiatement après. Le casting, le rythme des séquences claustrophobiques (un comble pour un truc qui se passe dans la jungle !) et une conclusion amère font de ce film un incontournable qui dépasse haut la main le film de Clouzot. Malheureusement, ce dernier resta à quai en 1977, la faute à un public peu réceptif et certainement pas emballé par cette expérience hautement nihiliste, emmené par un quatuor d’authentiques ordures. L’échec de ce film reste une vraie injustice que je peux comprendre malgré tout. Mon premier visionnage (la faute de l’âge peut être) ne fut pas si ultime que cela. Cependant, il convient de donner à nouveau une chance à ce film d’hommes (un vrai, pas du tout galvaudé) qui mettra à genoux n’importe quel spectateur en manque de sensations fortes.