Nos Funérailles (The Funeral), Abel Ferrara, 1996
Un film de gangsters plutôt atypique par son manque de violence et de fusillades (il y a très peu de coups de feu, et quand il y en a ça n'implique que deux ou trois personnes), ce qui lui donne un aspect assez intimiste. L'accent est en effet plutôt mis sur la psychologie des protagonistes principaux, sur leurs états d'âmes, leurs traumatismes, leurs convictions politiques... bien davantage que sur leurs activités criminelles. Il y a quelques passages mettant en scène le milieu, dans un bar, dans la veine de ce qu'on voit dans les autres films du genre, mais ces scènes sont vraiment minoritaire et le film est clairement centré sur la famille Tempio, et en particulier les trois frères campés par Christopher Walken, Chris Penn et Vincent Gallo.
Le film commence alors que toute la famille est rassemblée autour du cercueil de Johnny (Gallo), le cadet de la fratrie. Pendant la veillée funèbre, ses frères Ray (Walken) et Chez (Penn) tentent de surmonter leur souffrance et appréhendent ce drame chacun à leur façon. Ray, l'aîné, ne pense qu'à se venger et, alors que son frère n'est pas encore mis en terre, est déjà à la recherche de son meurtrier. Chez est le plus fragile psychologiquement, et malgré l'attention de sa femme (campée par Isabella Rossellini, dont la différence d'âge avec Chriss Penn est un peu trop perceptible à mon goût), cet évènement va achever de le détruire mentalement. Le film se déroule jusqu'à la fin pendant la veillée funèbre, mais est régulièrement entrecoupés de flashbacks présentant les différents frères et leur caractère si différents. Tous ces flashbacks manquent un peu de liant, Ferrara ne développe pas une intrigue et ces scènes n'ont même pas pour but de raconter l'enchaînement des évènements qui conduiront au destin tragique de Johnny (quand on le découvre, l'assassin sort un peu de nulle part). Non, l'objectif du cinéaste est simple : présenter ces trois frères et embrasser leur état d'esprit, leur psychologie, et plus particulièrement celle de Chez, clairement dérangé et hanté par le suicide de son père. On est loin de la richesse et de la densité des films de gangsters de Scorsese, et ça pourrait donner l'impression qu'il ne se passe pas grand chose, mais plus que la description d'un milieu et de ses pratiques, c'est le portrait de trois personnages, avec leurs qualités et leurs faiblesses, qui intéresse Ferrara.
La famille est également au centre du film, que ce soit par les liens très forts qui unissent les frangins (la scène où Penn pleure devant le cercueil de son petit frère est particulièrement poignante) ou par le rôle important accordés aux femmes. Victimes collatérales, elles assistent leurs époux pendant ces épreuves, tentent de leur venir en aide (à l'instar de Rossellini qui essaie d'obliger son mari à suivre une thérapie, ou la femme de Ray qui menace de le quitter s'il n'abandonne pas ses idées de vengeance) mais au final se révèlent impuissantes à empêcher la tragédie. Ce sont des femmes qui savent qu'elles méritaient mieux, mais qui pourtant continuent d'aimer leur époux (à l'instar de Lorraine Bracco dans
Les Affranchis, qui reste jusqu'au bout aux côtés de Liotta malgré tous les affronts qu'elle a du subir). Une des principales forces du film réside dans son casting : Walken impose évidemment sa présence, Gallo est très crédible en jeune intello rebelle, mais c'est véritablement Chris Penn qui se révèle le plus impressionnant, parvenant à faire transparaitre tout le mal-être et la détresse psychologique de son personnage. Isabella Rossellini est très convaincante également, de même que Annabella Sciorra, et on retrouve également Benicio Del Toro dans un second rôle de gangster bien méchant.
Servant admirablement la thématique sombre et pessimiste du film, la mise en scène de Ferrara apporte une implacable noirceur en plaçant la mort au centre du film, à l'image de cette scène où Walken touche la poitrine de son frère décédé, montrant ainsi les trois impacts de balles noircis par le sang séché. La photo particulièrement sombre (la plupart des scènes se déroulent de nuit) contribue également à l'ambiance particulièrement réussie du métrage, à l'image de ce que Ferrara avait déjà accomplis avec
The King of New York.
Un bon film de gangsters, certes un peu léger du côté de son scénario et qui laissera peut-être une impression de trop peu par rapport à certains mastodontes du genre (il est vrai que le film dure à peine plus d'1h30, ce qui est très peu par rapport à d'autres films du genre qui atteignent facilement les 2h30). Mais l'interprétation sans faille des acteurs et le ton particulièrement noir et déprimé du film méritent que l'on s'y attarde.
7.5/10