On m'a reproché d'avoir surnoté Suicide Club, je persiste en disant que je ne le pense pas. En effet, si ce brouillon généreux n'avait pas été tourné, Noriko's Dinner Table n'aurait certainement pas eu cet aura qui m'a fasciné pendant tout le film. Encore une fois, Sono Sion prend comme origine à son film une cellule familiale japonaise aux bords de l'explosion et signe une critique sociale acerbe, efficace et bouleversante. Difficile de rester de marbre devant ce final si fort en émotion, porté par des personnages terriblement bien écrits, qui ont eu le temps de gagner notre affection sur les près de 2h40 du métrage.
Noriko's dinner table est une film d'une densité rare, de nombreuses personnalités s'y entrecroisent, contribuant toutes à construire un requiem contre cette abstraite recherche du bonheur comme principal objectif de vie. En quittant sa famille pour un lieu différent, ce n'est pas le bonheur que va trouver Noriko, même si ce sentiment de bien être éphémère et faussé lui en donne l'impression. Pendant plus de 2h, il est question de cette quête sans fin d'un bien être illusoire par quatre personnages, devenant tour à tour les protagonistes d'un récit qui impressionne par sa maîtrise. Sono Sion tient son sujet avec fermeté. C'est avec la précision d'un auteur doué qu'il noue les fils de son film et écrit ses personnages. En choisissant d'alterner les points de vue du narrateur de son histoire, il nous embarque dans un récit qui gagne en authenticité, ce sentiment étant renforcé par la façon dont il filme ses acteurs, au plus proche, en pleine immersion, presque à la manière d'un reportage. Un autre parti pris qui se révèle payant et moteur de cette immersion réussie est l'utilisation abusive des voix-off, qui alternent sans cesse entre les différents protagonistes. Elles sont les révélatrices d'une intrigue diablement efficace. La sauce prend et même si le film souffre de quelques longueurs, jamais notre intérêt ne retombe.
Bien entendu, Sono Sion oblige, le contexte social est omniprésent dans le film. Certaines de ses idées pour développer son propos font froid dans le dos, non pas parce qu'elles choquent mais parce qu'elles paraissent si plausibles qu'elles font peur. Une entreprise qui vous louent des acteurs pour jouer dans votre journée une heure ou deux de bonheur simulé, pourquoi pas après tout, ça parait complètement fou au prime abord mais bizarrement, on se fait au concept si rapidement qu'on se demande si ça l'est tant que ça. En tout cas, c'est une idée qui ne surprend pas de la part de Sono Sion quand on commence à être familier de ses films tant elle est l'illustration du côté superficiel que peut revêtir la vie en géneral.
Sono Sion prouve également avec ce film qu'il n'est pas seulement homme à produire de belles images qui choquent. D'une part il choisit de se détacher complètement d'un visuel esthétisé à outrance et opte pour une prise de vue beaucoup plus brute, mais surtout, il prend son temps et choisit de jouer la carte de la subtilité pour délivrer un message qui, lui, ne perd rien de son acidité. Par ailleurs, le cinéaste confirme son savoir faire en direction d'acteurs, ces derniers sont tous impliqués totalement dans leurs rôles pour devenir des vecteurs directs d'émotion pure, à l'image de la jeune Yuriko Yoshitaka qui interprète la fragile Yuka, magistrale et extrêmement touchante. Noriko's dinner table se révèle être bien plus qu'une séquelle du brouillon mais efficace Suicide Club. En effet, s'il est clairement renforcé par toute l'ambiance qui lui apporte son petit frère (cette terrible scène où le père rencontre un représentant du suicide club est géniale), il ne joue définitivement pas dans la même cour. Noriko's dinner table fait partie des films qui vous touchent en plein coeur par la justesse de leur audace et sa mise en oeuvre.