Cape fear 1991.
8/101991, je me prends le nouveau film de Martin Scorcese en pleine figure. A la sortie de la séance, je le place direct dans les trucs les plus fous que j’ai vu, arguant à qui voulait l’entendre qu’il s’agissait du film le plus stressant que j’avais jamais vu. J’avais 15 ans…
Revoir Cape fear de nos jours permet de nuancer ce jugement un peu hâtif tout en considérant qu’il s’agit toujours de l’une des réussites flamboyantes de la dense carrière du réalisateur. Néanmoins, lorsque je reviens sur les grandes lignes de ce remake, j’en ressors quelques commentaires assez paradoxaux. 20 ans après, le film n’a rien perdu de son impact visuel et émotionnel. Mais…à y regarder de plus près, ce ne sont pas les composantes de l’histoire qui en ont à l’origine, loin de là. L’intrigue reste simpliste et rebattue. Nous sommes, à ce moment là, dans la pleine frénésie des psychos-killers starifiés. La famille Bowden est loin de susciter l’empathie, la faute à une Jessica Lange froide (choix hitchcockien j’imagine) mais lourdement agaçante, à une Juliette Lewis horripilante (ok son rôle d’ado veut ça) et à un Nick Nolte qui abat le boulot mais plombé par ses trop nombreuses erreurs grossières (la séquence du tabassage nocturne reste le plus gros raté du film). Le réalisateur tentera même d’écorner cette image de famille parfaite en y glissant des problèmes de couple et de relations. Mais rien n’y fera, je n’éprouverais aucune sympathie pour ces trois là. De son coté, le grand Bob se délecte maladroitement du rôle de Max Cady, alternant prestation diabolique et cabotinage limite (tout le final). Et pour finir, tout ce p’tit monde se retrouvera au centre d’une conclusion grandguignolesque propice à un spectacle presque comique dans sa reconstitution d’un procès en pleine tempête. Même si le film se plait, par moments, à flirter avec les codes du boogeyman j’avoue avoir moyennement adhéré à ce dernier acte. Cape fear cumulait donc tous les ingrédients pour sombrer dans le thriller de samedi soir largement oubliable.
Cela aurait été le cas si le film avait été confié à un gros tâcheron sans talent. Mais derrière la caméra se trouve le grand Scorcese. Le maitre se fend d’une réalisation d’une classe absolue avec des plans directement sortis des sixties, faisant de Cape Fear le plus grand hommage qui soit à l’œuvre du grand Alfred. De Niro est iconisé à mort, les plans serrés montrent un Nick Nolte de plus en plus flippé et aculé. La maison deviendra même un personnage à part entière, notamment dans l’extraordinaire séquence du piège nocturne (avec l’ours). On est clairement face à un exercice de style affolant ou la forme arrive à bouleverser un fond jugé trop classique. Le sort réservé à Kersek est, à ce titre, l’une des séquences les plus jouissives du film. L’impact des images ne serait rien sans l’apport de l’une des partitions les plus marquantes des années 90. Grace à ce chef d’œuvre musical d’angoisse, le film n’est plus le même alimentant une peur et un stress constant dès les premiers instants. La sortie de prison de Cady est juste monumentale. Scorcese pourrait montrer une feuille pendant 2 heures avec ce score que la scène en deviendrait oppressante. Mais quand on parle de cette magnifique combinaison entre la musique et la caméra, il me vient, tout de suite, un plan qui symbolise cette réussite. De Niro qui s’extirpe de la voiture des Bowden et qui fixe une dame médusée. La musique envoutante magnifie ce moment au carrefour du thriller et du film d’horreur, iconisant un de Niro encore plus diabolique et magnétique. Je parle de cette séquence mais il y en a tant d’autres tels que l’agression de la collègue de Nolte, le feux d’artifice nocturne, l’échange de bons mots entre Cady et Kersek, la séquence avec Grégory Peck qui renoue avec sa grandiloquence d’antan, le magnétisme de Mitchum ou encore la mort de Kersek.
On dit souvent que la forme sert à cacher la misère. Ici, elle sauve littéralement un background maigrichon permettant à Cape Fear d’être considéré, malgré tout, comme un bijou du genre meme si ampoulé par une histoire et des personnages bien fadasses (la famille).