Petite déception pour ma part. J'ai eu un peu de mal à rentrer dans le film, contrairement par exemple aux
Chemins de la Liberté dans le genre du
survival en pleine nature sauvage, essentiellement parce que je n'ai pas accroché aux personnages. Que ce soit au début ou au coin du feu, j'ai trouvé que l'on passait un peu vite autour de leurs personnalités (à part celle du personnage principal), et ainsi j'ai eu du mal à éprouver de l'empathie pour ce qui leur arrivait. Mais il s'agit clairement d'un film que j'aimerais revoir pour saisir toutes les subtilités et petites allusions qu'il couve en son sein et que j'aurais pu manquer.
Par contre j'ai bien aimé l'approche de la mort, qui est selon moi le vrai sujet du film. Elle est directe, démythifiée, nous transmettant la souffrance physique de manière frontale, sans détours (la première mort résume bien le message : au lieu de rassurer le mourant, au contraire on le force à accepter son sort). C'est construit comme un survival classique contre les loups avec la grammaire du genre, mais à un deuxième niveau de lecture nous avons affaire à une lutte de l'homme contre un environnement qui le rejette. En effet, les survivants sont sur le territoire des loups, véritables maîtres en ces lieux. Le désert glacial est leur cimetière. Cette idée du monstre mythologique est proche des
Dents de la mer, dans un environnement différent, et du coup nous aide à accepter la description peu réaliste de loups qui attaqueraient l'homme alors qu'ils ont habituellement peur de ce dernier. Durant l'introduction, il y a des prises de vue assez incroyables dans ce ton-là, qui confèrent au cadre du film une aura presque fantastique, et instaurant un réel décalage entre le monde des hommes et celui des loups. Après le crash de l'avion, l'atmosphère un peu mystique est mise en équilibre avec une représentation plus réaliste des conditions de l'hiver. La photographie restitue le blanc poisseux de la tempête, impliquant ainsi un champ de vision rétréci pour les hommes, plus vulnérables que jamais. Enfin, il y a des petites séquences qui remettent l'homme à sa place, de manière franchement nihiliste : l'homme ne peut vraiment compter que sur lui-même, mais ses efforts semblent risibles face aux forces de la nature (sans oublier quelques actes, comme le vol de porte-feuille des victimes, qui le place en bien mauvaise posture morale pour survivre en communauté), le froid hivernal tout comme les loups. Le titre français est d'ailleurs un porte-à-faux : le titre original,
The Grey, est bien plus proche de la mentalité du film, dont l'ambiguïté peut porter aussi bien sur le cadre infernal dans lequel les protagonistes doivent survivre, que sur leur psyché.
Concernant les loups en CGI et en animatronique (pour les gros plans) ça passe finalement plutôt bien, car les attaques sont (heureusement) furtives et souvent nocturnes, ce qui ajoute au caractère mystique dont j'ai parlé avant. C'est vrai qu'elles sont un peu faiblardes techniquement, car pour éviter que les effets ne se voient trop, la caméra a la maladie de Parkinson et on ne voit pas grand chose, mais c'est vraiment violent et sans concession en contre-partie. Puis comme je viens de le dire, il ne s'agit pas d'un film sur les loups, mais sur les hommes renvoyés à leur propre condition. Ce n'est donc pas anodin que les attaques des loups acquièrent toute leur force à partir des séquences intimistes des personnages, durant lesquelles on apprend à les connaître un peu dans un dénuement total. Sachant ça, les morts semblent ainsi avoir une dimension métaphorique. Avant que les loups arrivent sur les hommes, ces derniers sont déjà morts en quelque sorte par leur attitude (et donc le fait que certaines d'entre-elles soient prévisibles ne gêne pas trop, sachant que le suspens porte avant tout sur la manière dont ils vont mourir) : l'inconscience du danger, la peur, ou l'abandon, sont le début de la fin. Pour chaque personnage, un petit flash-back en dit plus long sur leur vie que certains mots, le dernier fil qui les raccroche à ce qui est le plus important pour eux. Pour parler du casting, Liam Neeson parvient à convaincre dans son rôle. Le fait qu'il soit chasseur de loup aide à le voir comme leader du groupe et pro de la survie. Puis lorsqu'on remet le film en perspective, on comprend pourquoi il s'en sort mieux que les autres, car il est le seul du groupe à avoir questionné avant le sens de son existence, sa place dans la société, et dans cette entreprise plantée au milieu de nulle part. Et il conduira les autres à affronter leurs propres peurs et leur mort, un combat personnel (que l'on appréhende via un flash-back allusif) qu'il partagera bien malgré lui. Quant aux autres acteurs, ils sont aussi assez bons, mais je n'ai pas trop accroché pour la raison évoquée plus haut. Bizarrement, la sympathie que j'ai eu pour leurs personnages passait davantage par la compassion de leurs propres souffrances physiques et morales que par une quelconque psychologie (plus évoquée qu'explicite).