/!\ Spoilers à foison (dont la fin de l'histoire)Regarder un film de Danny Boyle devient un sport.
Slumdog Millionnaire était un immonde tour de montagne russe de mise en scène et de montage : et que je te balance des dutch angle, des lens flare, des macro et des split screen, tu te les prends mes plans dans ta grosse gueule ?! Le cinéaste s'est calmé sur
127 Heures même s'il garde quelques réflexes, pas toujours justifiés (purée faut qu'il s'achète un troisième pied pour sa caméra le mec), mais qui passent plutôt bien sinon. En revanche, c'est cette fois pour des raisons narratives qu'on ressort du film assez éreinté. En ce sens le long-métrage réussit l'une de ses ambitions : montrer au spectateur à quel point c'est chiant d'avoir le bras bloqué sous un rocher.
Autant je trouvais complètement folle l'idée d'adapter cette histoire vraie au cinéma (ouais le mec il reste bloqué longtemps et il finit par se couper le bras, et concrètement on va voir quoi pendant 1h30 ?), autant je suis agréablement surpris de la manière dont est exploité ce pauvre pitch. Si le spectateur le veut bien, la situation d'Aron Ralston peut se transformer en expérience ludique et viscérale.
Ludique car le film est un jeu de survie. En faisant l'effort de se plonger dans le personnage, on réfléchit à comment on pourrait s'en sortir. On pense "putain mais utilise ton pied !" quand on a pris une longueur d'avance et on se dit "ah, bien vu !" quand c'est Aron qui a pris une longueur d'avance. On garde toujours en tête le joker final, tandis que le film s'y rapproche innexorablement en expliquant soigneusement les raisons des différents game over, que ce soit par un plan magnifique montrant qu'il est inutile de crier, ou par un monologue sur les poulies expliquant qu'il est inutile de forcer. J'ai beaucoup aimé cette progression narrative, qui fonctionne quand bien même on connaît d'avance la fin.
Viscérale car le film prend au trippes et épuise. Recréant à merveille un sentiment de malaise fébrile où les reminiscences hors-sujettes viennent se mêler aux souvenirs récents et où l'irrationnalité vient surpasser les sens (obligé de bien regarder l'écran de son appareil pour s'assurer que Scooby-Doo n'est pas derrière lui), Danny Boyle use des split screens pour caractériser l'abondance de pensées s'accumulant dans un esprit en panique incapable de les chasser. Mieux encore, il arrive à réaliser la douleur physique. Quel soulagement de voir le héros pouvoir se balancer à sa corde pour dormir, quel douleur lorsqu'il touche son nerf. C'est assez brillant, la palette d'émotions de James Franco n'y étant pas pour rien.
Dans son développement le scénario utilise des thématiques très classiques, obligatoires à vrai dire : les flashbacks sur la famille et sur son ex-petite amie, puis les messages d'amour à la caméra. Cependant le film de Boyle décide de creuser plus loin et de réfléchir sur l'image. Car l'idée du caméscope n'est pas un simple artifice de mise en scène. Dès les premiers flashbacks on observe les parents d'Aron regarder sa soeur jouer du piano sur un écran de télé alors qu'elle est juste à côté d'eux (
). Le médium de la vidéo est ici montré comme une matérialisation de l'instant qui devient plus important que l'instant lui-même. Aron se servant de son caméscope comme un miroir pour immortaliser, à travers un certain narcissisme, son look de beau gosse, ses exploits sportifs et son intelligence. Boyle découpe sa mise en scène en deux parties : celle de l'image, les plans filmés par caméscope ; et celle de l'instant, les vrais plans de cinéma. Ainsi il commence une progression au cours de laquelle Aron se dégoûte de son image. D'abord physiquement, où le jeune homme avoue ne pas vouloir se regarder et détourne l'écran du caméscope vers le spectateur, superposant dans un même cadre l'image et l'instant. Intellectuellement ensuite, Aron se mettant carrément en scène dans un jeu télévisé où il finit pas avouer sa bêtise de n'avoir dit à personne où il allait. Plus qu'un simple film de survie,
127 heures c'est l'histoire d'une démythologisation du héros et de son ouverture aux autres, à travers ses regrets. Et il faut attendre que le caméscope n'ait plus de batterie, que l'image soit totalement morte, pour que, confronté à la seule réalité, Aron décide d'agir et de sacrifier une partie de lui-même.
C'est grâce à cette seconde charnière dramatique, miroir de la première (le blocage sous le rocher, puis la libération), que le film forme un tout au message universel sur la vie : si le blocage sous le rocher est un exemple du non-sens avec lequel le destin peut nous faire passer en une fraction de seconde d'une randonnée cool en une situation de profonde détresse ("that's insane !" prononce le personnage), la libération est un hymne à la persévérance, un exemple de la volonté qu'il faut savoir garder dans une situation peu contrôlée. La vision des promeneurs au loin, symbole ultime que notre héros est sauvé, apparaît comme un moment de grâce divine, auquel on n'aurait même pas envie de croire tellement c'est beau, pourtant bel et bien réel car non miraculeux mais juste issu d'une pure détermination morale.
S'il y a tout de même un défaut assez conséquent à reprocher à
127 heures, c'est sa dernière partie trop rapide. Boyle aurait du suivre l'exemple de
Seul au monde où Zemmeckis avait pris soin de réserver une grande partie de son film au retour du rescapé (toutes proportions respectées), au lieu de filmer le vrai Aron tout sourire sur un canapé
. Personnellement j'avais des tas de questions. Revoit-il les deux filles du début ? Lui ont-elles rendu visite ne serait-ce qu'à l'hopital après avoir entendu son histoire ? La manière bourrine avec laquelle il s'est arraché le bras ne posait-elle pas de problèmes secondaires médicaux ? Ils ont laissé pourrir son bras sous le rocher ? Comment s'est-il remis de ce traumatisme avant de reprendre l'alpinisme ? Bref. Le coup de l'élicopter qui s'en va puis hop c'est fini, ça m'a un peu laissé sur ma faim.
Sans être exceptionnel du fait d'un pitch qui, de base, ne se prêtait guère au septière art, et à cause d'une fin bâclée,
127 heures reste un bon film et une jolie démonstration de Danny Boyle sur sa capacité à extraire des richesses insoupçonnées à partir d'une histoire certes percutante mais difficilement exploitable.