Monte Walsh, William A. Fraker, 1970
Voilà un western assez atypique, réalisé par William A. Fraker, un chef-opérateur (on lui doit notamment la photo de Rosemary's Baby et Bullitt) qui ne signera que peu de films en tant que réalisateur. Monte Walsh s'inscrit dans la vague des westerns crépusculaire qui fleurissaient à la fin des années '60, début des années '70, mais pas pour les mêmes raisons que les films de Peckinpah. En effet, c'est un film qui dégage la plupart du temps une ambiance paisible, loin de la violence et de la noirceur des westerns de Bloody Sam, et il faut attendre la moitié du film pour assister à un coup de feu. Toute la première partie se charge de nous présenter la vie de cow-boys dans un ranch, à travers quelques scènes de la vie quotidienne, des moments anodins en soi mais qui caractérisent bien les personnages et leur mode de vie. Le rythme est assez lent, il ne se passe pas grand chose et c'est avant tout à la description d'un monde en voie de disparition que nous convie le réalisateur, plus que dans la mise en place d'enjeux dramatiques. C'est là que se situe la dimension crépusculaire du film : l'Ouest de Monte Walsh n'est plus celui de l'Âge d'Or du western, c'est un monde désenchanté, où les ranchs appartiennent à de grands propriétaires vivant à l'Est et sous-traitant l'exploitation de leurs propriétés, et où les cow-boys d'autrefois ne sont plus des personnages flamboyants mais de simples ouvriers vieillissants et obligés d'effectuer des tâches ingrates pour survivre (à l'instar de ce vieux vétéran de la Guerre de Sécession, réduit à planter du fil barbelé et qui finira par se suicider sous le regard des autres cow-boys).
Les personnages principaux sont évidemment à l'image du constat que dresse le film, ce sont tous des reliques d'une autre époque, qui essayent tant bien que mal de s'adapter aux transformations du monde. Ainsi, le personnage de Jack Palance, fidèle compagnon du héros campé par Lee Marvin, décidera d'abandonner sa vie d'aventure pour se poser et épouser la gérante d'une quincaillerie. La prostituée vieillissante campée par Jeanne Moreau et qui entretient une relation sentimentale avec Marvin, quittera la ville pour tenter sa chance ailleurs. Seul le personnage de Monte Walsh (campé par Lee Marvin) restera fidèle à son mode de vie et à lui-même, sorte d'élément anachronique dans cet Ouest voué à disparaitre, et il finira par se retrouver totalement seul (la façon dont c'est amené est d'ailleurs un poil exagérée à mon goût, on a vraiment l'impression que toutes les tuiles lui tombent dessus d'un seul coup). Ces trois personnages centraux sont campés par des acteurs au sommet, à commencer par Marvin, dont c'est ici probablement l'un des meilleurs rôles. Il livre une prestation sensible, tout en subtilité, illustrant à lui seul ce monde vieillissant et dépassé par l'évolution des choses. Jack Palance forme avec lui un tandem très touchant, la scène où ils discutent au bord de la maison et où Palance confie qu'il va se marier est vraiment très belle, et Palance y est formidable, à l'image de sa prestation durant tout le film, où il montre à ceux qui en doutaient encore qu'il n'était pas qu'une gueule mais était capable de proposer un jeu très nuancé. Quant à Jeanne Moreau, c'est un choix de casting assez improbable mais qui fonctionne, son physique cadre parfaitement avec ce personnage de prostituée un peu éteinte, qui espère changer de vie et avoir Monte Walsh à ses côtés. La relation Marvin/Moreau est d'ailleurs très réussie, chose assez rare dans les westerns, c'est une relation pleine de tendresse, dénuée de toute niaiserie et surtout vraiment crédible.
La réalisation de Fraker est de qualité, assez contemplative dans la première partie du film, avec une volonté d’insister sur les choses anodines du quotidien des personnages et de beaux plans des vastes prairies, elle devient plus rythmée dans sa seconde partie, et on commence à voir apparaitre un peu d'action, avec cette impressionnante scène de rodéo qui finit par détruire pratiquement la ville entière. La fin du film se révèle nettement plus sombre, contrastant ainsi avec le début plutôt tranquille, il y a des morts et cela se termine en une chasse à l'homme et un duel. Mais là encore on s'éloigne des westerns d'antan, ce n'est pas un duel épique dans la rue en plein soleil, mais un affrontement âpre en pleine nuit dans un dépôt, seul à seul et dans l'obscurité la plus totale. C'est un film très particulier que ce Monte Walsh, assez lent, pas spécialement passionnant dans son déroulement, mais qui exerce une certaine fascination dans sa description désenchantée du Far-West. Le superbe score de John Barry ajoute beaucoup dans l'intérêt du film, et renforce le côté mélancolique tout en accompagnant admirablement la plupart des scènes.
Ce n’est pas un film qui plaira à tous du fait de sa lenteur et de son manque d'enjeux dramatiques (excepté dans la dernière demi-heure), mais Monte Walsh est à mon avis un film majeur dans l'évolution du western américain, l'un de ceux qui a le mieux réussi à illustrer la fin du Far-West.
7/10