PROMETHEUS-------------------------------------------
Ridley Scott (2012) |
8,5/10 C'est toujours bien de voir ses attentes déçues par des avis mauvais et au final d'appréhender un film sans plus rien n'en attendre. La surprise n'en est que d'autant plus meilleure. Car Prometheus fait partie de ces films qui ont le mérite de créer une forme de cinéma non balisée, à l'opposé des canons habituels et qui par leur élégance formelle réussissent à transporter. Il faut laisser le charme opérer et c'est ce que j'ai fait durant 2h et au final j'ai été totalement happé par cette fulgurance signée par le sir Ridley.
Plusieurs raisons à ça. Tout d'abord la beauté de ce film est à tomber. Le style et l'univers créés sont peut-être ce que j'ai vus de plus beau au cinéma depuis des années. Les effets spéciaux sont juste brillants et ne cherchent jamais la surenchère. C'est fluide, équilibré, constamment inventif. Intelligent quoi. Sans en faire des tonnes, Scott apporte ce qu'il faut de soins et de style à ses décors, costumes, technologies.
Après en s'attaquant à l'univers de son bébé, le Alien premier du nom, maître étalon du genre SF horrifique, Ridley aurait pu se contenter d'un propre plagiat modernisé. Loin de là, il préfère surprendre sur de nombreux points, quitte à décevoir et enfoncer le clou sur certains thèmes. En tout cas il prend des risques. Son scénario reste opaque sur de nombreux points, lui conférant un mystère que viennent épaissir un déroulement simple, sobre, efficace et froid. Sa phase d'introduction est le contraire d'un cliffhanger de fin ouverte. Le premier personnage qui apparaît est un de ces Ingénieurs esquissés dans Alien. Il nous est présenté frontalement; Scott aurait pu faire le malin et ne montrer que la silhouette encapuchée pour laisser planer un doute jusqu'à sa vraie apparition. Non il préfère nous le monter directement, sans artifice, crument avec cette nudité quasi originelle. Est-il sur Terre, ailleurs, quelle est cette substance noire qu'il ingère, est-ce un sacrifice, un suicide, une étape d'un projet? Scott ne nous donnera pas les réponses, bien sûr il reviendra sur ce personnage et cette substance, mais ce faisant, il entretient dès le prologue les futures spéculations qu'il s'amuse à mettre en place dès le début (pour mieux s'en débarasser ?) et pour mieux opacifier son ambiance.
En faisant ça il prévient : on va tout voir, mais comme pour les futurs humains du film, tout ne sera pas expliquer. Et c'est là où le film est extrêmement séduisant. Car cette quête des origines, cette quête des créateurs, n'est-elle pas un dessein voué à l'échec? Le Prométhée antique c'est tout ça : la création de l'homme à partir de rien et aussi la folle tentation de celui-ci de se mesurer au divin. Mais Scott n'est du genre à verser dans la philosophie. Non, c'est un réalisateur, un faiseur de films, de bon goût, et son film est là pour nous le rappeler. Car ce que Prometheus fait ensuite c'est aller à l'essentiel d'un genre de SF : découverte d'une nouvelle planète, nouvelles technologies terrestres (putains de sondes cartographiques, d'hologrammes en tous genres, de scène de rêve pixellisé..) et extra terrestres (tableaux de contrôle bio mécaniques, urnes chimiques, intérieurs de pyramides étranges et splendides). Tout est crédible, simple et sans fioriture.
Ensuite son histoire se concentre sur des choses simples qui sont celles aussi qui ont fait le succès de Alien : l'exploration de la zone (pyramides tombeaux qui ne sont pas ce qu'on croit s'avérant ensuite être plus des laboratoires d'armement), la confrontation aux éléments (magnifique tempête), la contamination, le personnage du cyborg dual dont la quête créateur/créature prend dans ce contexte une dimension encore plus importante, les entités alien terrifiantes et mortelles, la scène d'accouchement/avortement solitaire et claustrophobique (ultime), la réapparition de personnages, du gros lance-flammes et un climax ultime qui combine un tempo parfait, une démesure de FX à tomber et du retournement de situation (un ingénieur loin d'être le gentil créateur tant espéré, de la grosse bébête qui a bien poussé et qui va faire le "job" en bouclant ainsi la boucle de l'alien qu'on connaît).
Bref malgré quelques raccourcis scénaristiques (oui y en a qui se paument et oui Elba il est vraiment sympa quand même - bon après on a vu beaucoup plus con dans le genre) je trouve que Scott fait de l'ultra efficace sans verser dans le démonstratif et sans faire de l'action et de l'horreur par dessus l'épaule. Son truc est pensé et maîtrisé et ça fait plaisir (et ces clins d’œil bien pensés aux autres opus et même à 2001, sans doute un modèle).
La simplicité du film dans son déroulement aussi est quelque chose qui m'a plu. Certes on observe des comportements bizarres que certains trouveront incohérents. Mais pour ma part l'important est ailleurs. Scott met en place des éléments et il les fait évoluer. Et en ce sens le film me fait un peu penser à une partie d'échecs. Une grande plaine avec des lignes droites (le plateau), 16 membres d'équipage (les pions), et Shaw & l'ingénieur qui s'affrontent en tête à tête. Et puis des déplacements, des sacrifices, des prises, le jeu royal à l'échelle de l'espace, entre 2 espèces. Allégorique certes, capillotracté peut-être, mais plutôt que de longues explications, de la surenchère et un déroulement à n'en plus finir, toute la force du récit tient dans cette unité de lieu, de temps et d'action.
Et Scott met son petit jeu en place avec talent. C'est un artiste doublé d'un artisan, de la SF et de l'horreur, et ses scènes sont tour à tour grandioses, crépusculaires, viscérales.. Et puis ses personnages sont à l'image de son film avec seulement une Noomi Rapace à qui se raccrocher réellement. Je la trouve énorme dans son personnage, femme fragile et croyante. Oui elle se débat comme elle peut, déterminée et traumatisée, et oui ce n'est pas la Ripley burnée qu'on pouvait attendre. Tant mieux. Fassbender est énorme lui aussi, Theron aussi derrière son masque de froideur, mi robotique (?), mi "fille de" (?). Les autres aussi font du très bon boulot et c'est bon pour une fois de voir des personnages faillibles et flippés, humains quoi. Même Guy Pierce reste crédible malgré son maquillage, une drôle d'idée certes mais pourquoi pas, son perso en devenant finalement plus trouble et repoussant.
Bref j'ai donc clairement été emporté par ce film qui pour moi a l'immense qualité d'aller là où les autres ne vont plus. De la vraie SF classe : mystérieuse, simple et baroque. Des fondamentaux qui font sacrément plaisir en plus de faire réfléchir sur des portes ouvertes et poser des questions plus qu'elle ne didactise. En plus d'être sombre, glauque et étrange et de scotcher par un univers inventif et grandiose. En plus donc d'une réal impeccable...
Bref chapeau l'artiste. Belle claque.