John Huston y applique ses thèmes de toujours au film noir (le rêve de réaliser une ambition personnelle, désenchanté par les aléas de la malchance et des circonstances). Il s'agit apparemment d'une histoire classique de casse, mais qui prend une dimension "autre" avant et après, ce qui en fait tout son intérêt. J'avoue que je n'ai pas trop accroché au début, car la narration est assez étrange, nous faisant passer d'un protagoniste à l'autre comme dans un film choral, sans lien a priori, sans savoir où on va, rappelant ainsi le début du
Trésor de la Sierra Madre. Sauf que le déroulement narratif de ce dernier était exemplaire, alors qu'ici ça manque parfois de fluidité d'une scène à l'autre, comme par exemple le casse qui est finalement assez rapidement expédié et qui est censé être le clou du film. Il est très classique dans son principe, et sera souvent repris par la suite : la constitution de l'équipe, un plan maîtrisé, puis enfin la fatalité qui finira par avoir raison d'eux. A contrario, il faut avouer que sur la durée, le film révèle une structure globale travaillée, et adopte une forme quasi symétrique (par exemple, le début et la fin se répondent parfaitement). En fait, je trouve que le film décolle vraiment seulement après le casse, et que son intérêt consiste surtout d'une part au développement des différents protagonistes et leurs relations, et d'autre part au thème soulevé par le titre du film, la "jungle urbaine".
La ville est en effet conçue comme une "jungle" livrée à elle-même, avec ses propres lois (le titre anglais,
The asphalt jungle, est ainsi bien plus approprié que la pauvre traduction qui en amenuise le message). Les policiers sont ou incompétents ou corrompus, aux abonnés absents : au tout début, ils en laissent même filer deux qui seront liés directement au casse. Le climat de la ville nocturne est assez oppressant et réussi, avec de beaux contrastes. L'opacité des lieux de l'action est accentuée par une composante essentielle, qui acquiert dans le dénouement une signification détaillée : il n'y a pas de musique en arrière-plan, mais seulement un silence absolu, l'espace étant ainsi uniquement rempli par l'action des gangsters.
De leur côté, les "acteurs" du crime ne sont que des pauvres diables qui répondent à des besoins variés : augmenter leur fortune, régler leurs dettes, nourrir leur famille. Chacun d'entre-eux remplit un rôle précis, qui se prêtent au stéréotype (le fort, le serrurier, le cerveau, le banquier, le receleur), mais derrière presque tous ces personnages de roman, une attitude se dessine, et les plus intéressants sont ceux qui ont un rêve et une obsession qu'ils voudraient réaliser avec cet argent, et en premier lieu, ceux qui sont sur la faille : le receleur, riche seulement en façade et ayant une idylle avec une fille qui pourrait être sa petite fille (Marilyn Monroe qui y interpréta son premier rôle dans un film renommé, déjà très sexy), la "brute" (véritable clone de James Stewart), qui désire à tout prix sortir de cette "jungle" pour retrouver son ranch d'enfance (cette thématique ville impitoyable/nature exotique et remplie de rêves est un autre lieu-commun du metteur en scène), et enfin le gentleman-cerveau, le seul à être fair-play aussi bien avec les membres de son équipe qu'avec la police, et qui jouit de ses derniers moments de liberté à la manière du personnage principal de
Vivre en appréciant chaque instant qui lui reste. Tous les trois réalisent leurs derniers moments de manière belle et tragique, qui justifient à eux seuls de voir ce film.