Red Cliff (Les Trois Royaumes) de John Woo
(2008)
Après quinze années passées à Hollywood pour le meilleur (
Face/Off) comme pour le pire (
Broken Arrow pour ne citer que lui), dire que le retour de John Woo dans son pays natal était attendu relèverait de l'euphémisme. Pourtant, Woo arrive tout de même à surprendre son public en décidant de réaliser un WXP, genre auquel il n'avait pas touché depuis la fin des années 70. Le projet surprend plus encore lorsque
Red Cliff se révèle être non seulement le film le plus ambitieux de toute l'histoire du cinéma chinois (casting prestigieux, réalisateur attendu depuis des années, adaptation d'un récit épique sur l'une des plus grandes batailles de la Chine antique, durée titanesque, etc...) et donc forcément très risqué sur le papier. Sorti chez nous dans une version tronquée de 2H20,
Red Cliff se posait finalement comme un film épique souffrant malheureusement de clarification concernant les enjeux ainsi que la psychologie des personnages, autant dire donc que ces défauts sont vite oubliés lorsque l'on regarde la version complète du métrage, divisé en deux parties de 2H30 pour l'exploitation en salles. La comparaison entre les deux versions n'a pas vraiment lieu d'être, on n'a tout simplement jamais l'impression de voir le même film, car si la version courte proposait la plupart des séquences marquantes de cette œuvre fleuve, il faut bien avouer qu'elle manquait tout simplement de cohérence et donnait plus l'impression d'une démo technique. Dans sa version complète,
Red Cliff est finalement l'un des films épiques les plus impressionnants de ces dernières années, décidant de jouer à fond la carte du spectacle ambitieux et généreux envers son spectateur.
La première chose qui étonne à la vision du film, c'est bien entendu la maîtrise totale de John Woo en ce qui concerne la façon de raconter son histoire. Malgré la présence de très nombreux personnages importants, Woo arrive toujours à garder une clarté de tout les instants, caractérisant avec intelligence ses personnages, que ce soit par la façon de combattre (excellente première séquence de combats où les généraux ont chacun un style propre, ce qui fait fortement penser au travail de Tsui Hark sur son
Seven Swords) ou par la façon d'aborder la guerre (le personnage du tacticien, certainement le personnage le plus intéressant du film puisqu'il se révèle être le seul à théoriser la bataille dans sa totalité). Enfin, les relations entre personnages sont travaillés de façon très intense, que ce soit celle reliant le personnage de Tony Leung au tacticien, celle de Cao Cao à la femme dont il rêve depuis des années, ou encore celle de Zhao Wei avec le soldat ennemi dont elle s'éprend, Woo donne à la totalité de ses protagonistes une profondeur telle que la durée du métrage se révèle justifiée dans sa globalité,
Red Cliff devient alors un film de personnages avant d'être un film de guerre, et c'est grâce à ce détail important qu'il tire toute sa puissance dramaturgique, l’œuvre se révélant être d'une densité thématique étonnante venant de la part de John Woo qui préfère généralement les récits simples véhiculant ses thèmes personnels.
Le seul reproche que l'on pourrait faire finalement au film est sa division en deux parties, ainsi la première est sensiblement mais clairement meilleure que la seconde, se concentrant bien plus sur ses personnages, clarifiant la stratégie guerrière avec succès et surtout arrivant à captiver le spectateur lors de cette longue préparation de guerre là où l'assaut final de la seconde partie repose sur une fausse tension basée sur le changement du vent ainsi que sur un twist stratégique qui se voit venir. Rien de bien méchant certes, la seconde partie étant très généreuse en terme de spectacle pur, mais on ne peut s'empêcher de penser que la bataille contre la cavalerie de Cao Cao est de loin la meilleure séquence de combat du diptyque, notamment en terme de mise en scène. Par ailleurs, Woo arrive à trouver avec ce film un équilibre certain dans sa façon de dépeindre l'action tout en gardant son style propre (on a même le droit à plusieurs auto-citations, notamment une d'Hard Boiled très sympa). Là où l'expérimentation du montage prenait un peu trop d'importance dans ses films d'action avant sa période américaine, il signe avec
Red Cliff un modèle d'efficacité, et plus particulièrement sur les affrontements à grande échelle. Il reste bien entendu quelques défauts sur la longueur, notamment lors de l'affrontement final où le montage perd sa clarté lorsque les groupes de combattants dispersés se font trop nombreux, mais toujours est-il que le film fonctionne de bout en bout sur le plan visuel et jamais le spectateur ne se sent totalement perdu dans ces gigantesques batailles (là encore, cette lisibilité rappelle beaucoup certaines scènes de
Seven Swords).
Mais c'est surtout dans la préparation de l'action que Woo signe quelques unes de ses plus belles séquences, notamment lors d'un duel psychologique à base d'instruments de musique, une séquence magnifique qui en dit long sur les personnages représentés, ou encore lors d'un plan-séquence étonnant qui suit l'envol d'une colombe au-dessus d'une flotte gigantesque. Le casting est juste magistral, Tony Leung et Takeshi Kaneshiro en tête, dommage que Chang Chen n'ait pas plus de séquences, son personnage ayant un charisme monstre. La bande-son, en revanche, est sympathique mais vraiment sans plus, la faute notamment à un thème principale trop redondant et pas forcément raccord avec les séquences qu'il accompagne.
Red Cliff, c'est tout simplement le meilleur film de John Woo à ce jour ainsi qu'un des meilleurs films de guerre médiévaux toutes époques et nationalités confondues, une œuvre à découvrir absolument dans sa version longue, sous peine de passer à côté d'un conte épique d'une densité monstrueuse en terme de thématiques. Rien que pour ça, j'attends avec impatience le prochain film de Woo.
NOTE : 8,5/10