Encore une pièce maîtresse de la filmographie décidément sans faille des frères Coen (même si les premiers ratés suivront peu de temps après). The Barber est un sublime hommage au film noir. Hormis une petite touche fantastique rigolote, tout respire les années 40 dans cette production chiadée qui se pare d'un somptueux noir et blanc à décrocher la mâchoire. S'il n'y avait que la technique, le film serait déjà une réussite, entre contres jours saisissants et les bouffées de cigarettes très cinématographiques qui sortent de manière incessante de la bouche d'Ed Crane (Billy Bob Thornton, tout simplement impeccable et magnifié par la photo de Roger Deakins).
Tous les codes du film noir sont respectés dans la destinée tragique de ce coiffeur que sa femme trompe avec son riche patron. Sa vie est monotone (il n'aime rien, ni les dîners protocolaires, ni les mariages en famille) et la rencontre avec un voyageur de commerce va le transformer en maître chanteur dépassé par les évènements. Je ne m'en étais pas aperçu à la première vision mais c'est un peu comme si les frangins refaisaient leur Fargo en le débarrassant de tous ces atours cyniques et décalés pour n'en garder que la moelle épinière. Ils ont ensuite plongé cette matière brute dans un bain de classicisme tout simplement brillant.
Malgré un rythme forcément piano, le film reste captivant de la première à la dernière image et est régulièrement traversé de scènes marquantes, la plus réussie d'entre elles étant incontestablement l'entrevue entre Ed et Big Dave dans le bureau de ce dernier. La scène débute avec Ed au chevet de sa femme, profondément endormie suite à un mariage trop alcoolisé, et alors qu'il nous conte sa rencontre avec madame en voix off, le téléphone l'interrompt. Big Dave (James Gandolfini, parfait en homme rongé par le remords) le convie à venir le voir dans son magasin. A l'issue de cette conversation orageuse dont je ne révélerai pas la teneur (encore une fois, il y a des plans d'une beauté à se damner
), Ed rejoint tranquillement son domicile, se rassoie auprès de Doris et reprend l'histoire de leur rencontre comme si rien ne s'était passé. 10 minutes de génie, tout simplement.
Les seconds rôles de qualité sont légion : Frances McDormand en épouse distante, Jon Polito (Miller's Crossing, Barton Fink) en homme d'affaires arnaqueur et gay, Michael Badalucco (O'Brother et Miller's Crossing) et Tony Shalhoub (Barton Fink), impérial en avocat profiteur, sont des habitués de la maison. On y découvre également la très jeune Scarlett Johansonn et le toujours excellent Richard Jenkins. Dans l'équipe technique, hormis Roger Deakins, on retrouve naturellement le talentueux Carter Burwell aux commandes de la musique, subtilement adéquate.
On notera enfin une petite touche décalée à base de soucoupe volante et de complot gouvernemental qui donnera lieu à une scène pour le moins cocasse mettant en scène la femme de Big Dave. Je vais me répéter mais une fois encore, la photo à tomber y est pour beaucoup (l'espace de deux minutes, on se croirait parachuté dans un film de la Hammer). Plus qu'un hommage à un tout un pan du cinéma américain, The Barber, par ses qualités formelles qui flattent tout du long la rétine, est un vrai diamant noir (et une réelle redécouverte pour moi). La chute sera d'autant plus douloureuse avec le film suivant des frères Coen, le très - ajoutez l'adjectif de votre choix - Intolérable Cruauté.
9/10