TOTAL RECALL - Paul Verhoeven (1990)
Trois ans après Robocop, son précédent chef d’œuvre, Verhoeven investit une nouvelle fois l'univers de la science fiction avec Total Recall, une libre adaptation d'une courte nouvelle de Philip K. Dick. Un auteur chez qui il ne faut pas se fier aux apparences et où les personnages sont souvent bien plus complexes qu'ils ne semblent l'être. Verhoeven l'a bien compris et va appliquer à son film des choix qui sur le papier semblent périlleux mais qui s'avéreront parfaitement cohérents avec l’œuvre en question.
Après un développement compliqué dans les mains du nabab De Laurentiis, le scénario échoue dans les mains d'Arnold Schwarzenegger, la nouvelle icône du film d'action qui vient d'enchainer consécutivement Terminator, Commando et Predator. A la lecture du script, Schwarzie veut absolument interpréter le rôle principal et cherche même à imposer au poste de réalisateur un certain réalisateur hollandais qui lui a tapé dans l’œil avec son dernier film, Robocop.
Association qui peut paraitre totalement improbable pour une adaptation de K.Dick et pourtant, le film s'avère être une réussite à tous les niveaux, tant son réalisateur injecte toute sa hargne et son coté viscéral à l'ensemble. Un projet pensé à la base comme un blockbuster lambda surfant sur le succés de Terminator et qui va se révéler être un nouveau classique pour toute une génération de cinéphiles, car il allie à la fois la violence et la férocité du propos cher à Verhoeven avec un scénario complexe, le tout relevé par l'incroyable charisme de son acteur principal.
Car sous ses airs de gros véhicule promotionnel à la gloire de son acteur, bourré d'action et de violence, se cache en réalité un des films de SF atypique, certes gonflé à la testostérone mais également ludique et immersif. Un mélange schizophrène entre pur film d'action et réflexion métaphysique, qui se retrouve au sein même du récit, le héros (et par extension le spectateur) ne sachant jamais vraiment si ce qu'il vit est un rêve ou la réalité. Un film qui sait marier le divertissement pur et parfaitement rythmé avec une intelligence dans le traitement de ses personnages et des rebondissements qui laisse le spectateur à bout de souffle, lui donnant envie de le revoir à l'infini pour en saisir les multiples subtilités, souvent masquées par une déferlante d'action ultra jouissive.
Du point de vue de la mise en scène, Verhoeven impose sa patte inimitable, ne se conforme absolument pas aux codes du blockbuster de l'époque, devenus plus sages à la toute fin des années 80, et livre des scènes d'actions bien violentes : l'escalator et ses civils qui servent de boucliers, la scène culte des hologrammes ou encore l'attaque dans le Last Chance Bar n'en sont que quelques exemples. Une aventure remplie de mises à morts très visuelles et plein cadre (connait pas le hors champ Paulo) et d'un bestiaire de mutant carrément hallucinant, aussi repoussant (Kuato notamment) que drôle (la femme aux trois seins, la naine qui se prend pour Rambo ou encore Benny et sa petite surprise).
Il soigne aussi ses scènes plus intimistes et livre même un sommet de tension lors de la scène culte avec le docteur Edgemar, véritable scène pivot du film qui donne un nouvel angle de réflexion à l'intrigue, et qui ne manquera pas d'inspirer les Wachowski pour une scène clé de Matrix, quoi qu'en disent les fans aveuglés qui ne veulent pas s'avouer que leurs chouchous ont piochés aussi chez Verhoeven. Quoi de plus normal cela dit tant les thématiques des deux films se rejoignent sur bien des points, et l'on peut aisément faire le rapprochement entre Doug Quaid et Neo, tous les deux "héros" malgré eux dans un univers entre rêve et réalité, où chacun va devoir se révéler afin de sauver un peuple asservi.
Coté casting, hormis un Schwarzie impeccable, on retrouve Michael Ironside dans son rôle favori de l'enculé de service, toujours accompagné de son bras droit interprété par cette sale gueule de Ronny Cox. On retrouve aussi Sharon Stone, dont la plastique hallucinante va donner des idées pour la suite à notre cher Paulo, et qui trouve ici un de ses rares bons rôles et également la charmante Rachel Ticotin.
La B.O participe également à l'identité particulière du film, Jerry Goldsmith livrant encore une fois une partition mémorable.
Vous l'aurez compris, Total Recall est un film qui compte énormément à mes yeux, devant lequel je prends chaque fois un plaisir inouï, malgré les multiples visions depuis la première fois où je l'ai découvert, très jeune, lors de sa diffusion sur Canal +. Une véritable madeleine de Proust cinématographique, à l'image d'un Die Hard, d'un Last Action Hero ou d'un Hard Boiled. Une œuvre qui pour moi va au delà de l'analyse critique, tant je prends un plaisir viscéral et indescriptible à chaque fois que je le vois, me rappelant avec amertume une époque définitivement révolue, où l'on ne grandissait pas en regardant Moulin Rouge. Malheureusement, le remake arrive, mais il y a de fortes chances pour qu'il démontre à tout le monde à quel point le film de Verhoeven est unique !
Paulo un génie ? Assurément !
10/10