Nous tenons ici la quintessence du film viking. En même temps, le genre n'est pas très fourni, la meilleure performance américaine (je ne sais pas trop du côté scandinave) étant détenue jusqu'ici par
Les Vikings. Au niveau du background historique je n'ai pas trouvé mieux depuis avec ce dernier.
Le 13ème guerrier emprunte un peu le même chemin au niveau de la narration : cela se passe avant tout au niveau de l'image, bien que le scénario soit plus riche qu'en apparence. Et justement l'un des gros points forts de ce film, c'est la direction artistique. John Mc Tiernan est l'un des derniers techniciens à savoir encore utiliser la lumière naturelle dans un film d'époque sans CGI ou presque (le plan du drakkar en pleine tempête serait impossible autrement), ce qui nous apporte de sacrées scènes épiques (
Predator était aussi un gros morceau en termes d'immersion dans la nature), parfaitement mises en valeur par l'un des plus beaux scores du genre.
A l'instar de
Robin des bois (Ridley Scott), McTiernan remet au goût du jour le mythe de Beowulf avec une certaine intelligence, en trouvant le bon dosage entre divertissement, vision désenchantée, et touche fantastique. Nous suivons le point de vue d'un musulman (Banderas), exilé de son pays, qui rencontre le peuple viking pour lequel il voue une certaine fascination, ce qui mine de rien aide à l'implication par le caractère exotique qu'ils revêtent ainsi. Petit tour de passe-passe narratif très efficace : la manière dont il apprend la langue viking (qui a une certaine crédibilité en passant, à cause de ses prédispositions linguistiques en tant qu'ambassadeur), et dont on passe rapidement à l'anglais une fois fait, évitant ainsi de faire des allers-retours d'une langue à l'autre (cette introduction était nécessaire tant au niveau de l'immersion qu'en termes de crédibilité, et puis à part Mel Gibson, peu de réalisateurs américains se sont amusés à retranscrire les langues originales dans un film d'époque).
La base du récit est simple (faire d'un poète un homme, un vrai), mais la mise en scène est ce qui donne à ce film une aura si particulière. D'abord, les guerriers semblent surgir tout droit d'un conte (ce qui est aussi le cas du musulman, puis plus tard du peuple fantastique). Et ensuite le mélange omniprésent entre réel et fantastique (une piste qui sera explorée par
Black Death) apporte une atmosphère inquiétante, parfaitement mise en valeur par la mise en scène : tout comme dans
Les vikings, ce film souligne le type de vision propre à ces guerriers, qui construisent leur mythologie essentiellement autour de ce qu'ils ne voient pas avec certitude, déterminée par la présence du brouillard par delà lequel des créatures fantastiques sont supposées exister (une idée qui sera aussi utilisée par
Le village, avec une mythologie unique et originale, et une visée totalement différente). Bien qu'étant lui-même un sujet de curiosité pour les vikings (et pas mal de petites scènes viennent nourrir ça : son don des langues, l'écriture, la taille de son cheval et de son épée - je chipote, mais un petit temps supplémentaire d'apprentissage n'aurait pas été de trop, vu qu'à la base il n'est qu'un lettré -, ses croyances), le musulman incarne aussi le doute rationnel au sujet de ces visions fantastiques (ne pas oublier que son peuple incarnait la raison en ces temps-là, beaucoup plus que les occidentaux finalement tout autant pétris de superstitions), découvrant les subterfuges utilisés par leurs ennemis (comme le soit-disant dragon, en fait produit d'une procession de torches).
Malgré l'intelligence d'un scénario plus riche qu'à première vue (adapté d'un roman de Michael Crichton) et la qualité de la mise en scène qui se met entièrement au service de son sujet (rendre fantastique des éléments qui n'ont rien de surnaturel), je trouve ça dommage que tous les guerriers vikings ne soient pas aussi bien développés. Et même ceux qui le sont, il faut compter surtout sur leur physique et leur tempérament pour leur donner chair. Les scènes qui développent leur caractère sont bien trop courtes, hormis la friction entre le premier camarade du musulman et le fils du chef du village qu'ils doivent protéger, qui fait une belle démonstration d'expérience et surtout de ruse contre un soldat plus jeune et plus costaud que lui. Heureusement qu'ils ont tous de bonnes gueules de guerriers (leur chef en tête), ce qui est déjà la moitié du boulot. Aucun d'entre-eux ne fait pitié. On sent que malgré une inexistence de passé narratif, un soin particulier a été apporté à chacun pour leur donner une personnalité perceptible rien que par leur visuel (un défaut et une qualité que j'ai retrouvés dans
Black Death). De leur côté, les combats sont assez courts, mais ils ont tous la classe (surtout lorsque la nature de leurs ennemis n'est pas encore dévoilée : on ne sait jamais d'où les coups vont partir, et ça ressemble plus à un film d'horreur à la sauce viking qu'à un pur film de guerre historique), violents pour un PG13 (par exemple cette décapitation d'une cruauté rare, digne d'un slasher).
Les 1h30 du film (sans générique) se déroulent à un train d'enfer, du coup il est difficile de s'ennuyer. Mais on sent qu'il manque pas mal de scènes (ne pas oublier que le tournage a failli tourner au désastre, malmené par la production, le changement de scénario ...) : le début est abrupt, les relations entre les personnages ne sont pas assez développées, et il y a des raccourcis narratifs (les plus gros exemples selon moi, c'est le gimmick du gosse en train de courir et qu'il faut secourir, puis ensuite la facilité avec laquelle ils pénètrent dans l'antre de leurs ennemis, et le faible nombre de ces derniers alors qu'ils semblaient être une bonne centaine à la base, ce qui crée un petit problème de climax). Puis le combat final manque d'intensité malgré la lutte héroïque de Beowulf agonisant. Par contre la dernière scène est de toute beauté avec ce plan sur la mort de ce dernier, posant comme un guerrier à la manière d'un
Conan, avec une allure mystique (il y a une philosophie omniprésente chez les vikings d'une mort qui peut surprendre à tout moment le guerrier en plein combat, et qu'il faut accepter pour être un vrai brave). Finalement un seul gros regret : l'absence d'une version longue comme pour
Kingdom for Heaven ou
Alexandre, qui gagnèrent tous deux en qualité et en densité, mais restera malheureusement un pur fantasme de cinépiles. Malgré tous ces petits défauts soulignés plus haut, ça reste tout de même l'un des cinq films les plus épiques de ces quinze dernières années, en comptant en plus de ces films précités,
Gladiator et la trilogie du
SDA (puis en remontant un peu plus loin,
Braveheart).