L'Aurore (Sunrise), F. W. Murnau, 1927
Revu ce chef d’œuvre de Murnau en BR dans sa version dite "tchèque". Celle-ci est d'ailleurs absolument remarquable en terme de définition et de contraste, et rends merveilleusement honneur aux immenses qualités esthétiques du film. Pour tout dire, en jetant par après un œil à la version Movietone, j'avais l'impression de voir une image DVD!
C'est d'autant plus dommage que cette version tchèque ne soit pas complète puisqu'il manque une bonne quinzaine de minutes.
En ce qui concerne l’œuvre elle-même, je crois que je l'ai encore plus apprécié que la première fois. Évidemment, l'exceptionnelle qualité d'image permet de profiter bien davantage des qualités esthétiques du film, qui m'ont semblé encore plus évidentes qu'auparavant.
L’Aurore, bien que tourné aux USA pour le compte de la Fox, est bien un pur film expressionniste allemand, et cela se voit dans la composition des plans, dans les contrastes très marqués (opposition noir/blanc symbolisée notamment par les tenues de la femme de la ville et de l'épouse), dans le jeu expressionniste des acteurs (l'attitude de George O'Brien dans la barque, vouté et menaçant) et dans les nombreuses trouvailles visuelles du film (la scène où le couple traverse la rue sans se soucier des voitures, avec le fond urbain se muant en un décor champêtre).
L'Aurore est un véritable plaisir visuel, la photographie sublime du film confère aux différents environnements une atmosphère particulière, que ce soient les marécages brumeux, le lac inquiétant, la ville chaotique ou la fête foraine bruyante. La mise en scène de Murnau est d'ailleurs particulièrement moderne pour l'époque, avec beaucoup de mouvements de caméra et même des plans séquences, ce qui dans le cinéma muet n'était pas si courant (beaucoup de plans fixes, en général).
Une des grandes forces du film de Murnau, c'est de livrer un film riche et émouvant sur base d'une histoire simple, voire simpliste. C'est peut-être justement cette simplicité qui permet de revenir aux sentiments les plus purs, et de toucher si profondément le spectateur, et c'est sans doute cela qui explique la postérité du film, ainsi que celle des chefs d’œuvres de Chaplin (qui lui aussi visait à véhiculer des émotions "brutes"), ou, plus récemment, le succès d'un
The Artist. Le jeu des comédiens, très expressif, le caractère universel et intemporel de l'histoire, la beauté toute simple des situations vécues par le couple en ville ; tout cela contribue à nous toucher à la manière d'un conte ou d'un poème. Car c'est bien cela qu'est
L'Aurore : un conte poétique sur l'amour, et il faut évidemment le prendre comme tel, sinon on risque de passer à côté du film. La première fois que je l'avais vu, j'avais été assez décontenancé par la partie en ville, où de la tragédie, le film vire à la comédie légère. Mais en fait cette rupture de ton est totalement pertinente, car c'est justement grâce à ça que Murnau nous fait nous prendre d'affection pour ce couple qui réapprend à s'aimer, c'est grâce à cette partie que le film nous fait partager les émotions de ses personnages, et c'est grâce à elle que la dernière partie du film est aussi forte. Ce qui me semblait presque un défaut lors de ma première vision, est en fait une des immenses qualités de l’œuvre.
Je ne vais pas m'étendre plus longuement car de toutes façons tout a déjà été dit des centaines de fois sur ce film, qui a été analysé maintes et maintes fois. Je conclurais juste en affirmant que j'ai pris un énorme plaisir à revoir ce film, et qu'il est bien à mes yeux le chef d’œuvre tant vanté. Murnau était décidément un grand, quand on voit les chefs d’œuvre qu'il a livré au cinéma muet, c'est vraiment dommage qu'il soit mort si tôt (enfin à supposer qu'il se soit adapté au parlant, ce qui ne fut pas le cas de tous les cinéastes du muet).
9.5/10