Voilà un film au récit très bien structuré. Aucune scène de trop (sauf peut-être dans les 15 dernières minutes, je vais y revenir). L'histoire est au fond assez classique, portant sur des hommes qui n'ont rien à perdre, et vont partir en quête d'or dans les montagnes mexicaines, avec une trame qui fait très western. Mais le traitement des thèmes, déjà marqué par le style de John Huston (je pense notamment à
L'homme qui voulut être roi avec une mystification de l'aventure, l'aliénation des individus face à la richesse matérielle, le sacré comme limite, et enfin le ton ironique) est un modèle de narration intemporel.
Cependant, l'aventure ne démarre pas au quart de tour, ce qui est ici une force. L'histoire prend son temps à poser un cadre, à développer les motivations des personnages. Par exemple, l'introduction explique très bien comment le personnage interprété par Bogart va se transformer en bête irascible et paranoïaque par la suite : vivant dans la misère, il est obligé de mendier (à un personnage joué par Huston lui-même), puis enfin il est exploité au travail. La thématique centrale de l'or est donc posée dès la première scène, puis sera interrogée dans son ambivalence (le mal vient-il de lui-même ou des hommes) dans le cadre de la communauté humaine : propriété, intrusion, confiance. Passé cette introduction, l'aventure est rapidement vécue comme une désillusion d'une tâche a priori facile, loin d'une promenade de santé. Pour trouver de l'or, il ne suffit pas de chercher par terre, mais il s'agit d'un long processus, mais surtout du facteur humain de solidarité (on voit très bien qu'au début le trio se parle encore, puis que peu à peu, un vent de suspicion souffle entre-eux dès que l'or a été partagé en trois parts égales, le début de l'individualisme égoïste qui les mènera à leur perte). Ainsi, le film est toujours à cheval entre le genre d'aventure et le thriller psychologique avec un arrière-plan très western. Un mélange géré avec beaucoup de réussite.
La réalisation offre un superbe noir et blanc, dotée de cadrages soignés, captivant notamment les expressions des visages et la dureté de la nature, apportant un sentiment de tension omniprésent. Au niveau de l'action, il n'y a que trois scènes notables (dont deux fusillades), plutôt violentes pour l'époque malgré les hors-champs. C'est peut-être un peu statique, mais c'est carré, et la composition est très vivante, que l'on doit beaucoup aux acteurs principaux (même les secondaires apportent un petit plus pittoresque non négligeable), que je trouve très bons (je ne connaissais pas encore trop Bogart et il est bluffant). Pour parler des personnages, chacun est doté d'une fonction importante, apportant un équilibre à la dynamique des relations inter-individuelles. D'abord, le personnage de Bogart, après avoir vécu ce qu'il a vécu, devient encore pire que ceux qu'ils l'ont doublé. Son compagnon est son parfait alter-ego, ayant vécu la même chose que lui, mais en plus ambivalent : on sent à un moment donné qu'il aurait pu devenir comme Bogart, mais sa conscience le sauve. Puis le vieux qui les a guidé est l'aventureux, qui est au fond comme eux, mais l'expérience a fait de lui un homme différent, plus sensible à ce qui est important dans la vie, et compte beaucoup plus sur la communauté humaine, qui non seulement permet d'être plus efficace, mais aussi de ne pas devenir fou. Enfin le quatrième compagnon représente l'élément perturbateur, qui devient contre toute attente leur voie du salut, autant physiquement que spirituellement (puisqu'il avait entre les mains quelque chose qui pèse plus lourd que l'or). Le seul vrai héros en somme, mais qui passe rapidement à la trappe. Les bandits et les policiers apportent aussi une tension intéressante (malgré leur côté stéréotypé), puisque nos personnages agissent en toute illégalité, et donc sont également perdants s'ils se retrouvent face à eux.
Ce qui est beau, c'est de voir que l'or n'est pas juste considéré comme un mal que la nature humaine rechercherait par cupidité. C'est plus subtile que cela. L'introduction l'avait déjà suggéré, et l'apothéose vient avec cette discussion autour du feu des rêves de chacun. Tout le monde s'exprime avec simplicité, c'est très touchant, sauf un, qui n'a en tête aucun projet hormis le fait de dépenser. Le vide absolu. Et on voit bien que le coeur de la morale du film, c'est ça, beau et simple à la fois : qu'est-ce qui vaut plus que l'or ? Nos rêves ? La vie humaine ? Le sacré ? Le final est très bon avec la montagne, traitée comme une femme qui a accouché et qu'on traite en conséquence. Puis après, j'ai apprécié que l'aventure ne se termine pas avec la prospection (comme le début), et aille au bout du schéma des personnages et de leurs aspirations (le vieux trouve un petit coin de paradis inespéré, et le duo de départ, sans la présence de ce dernier qui apportait un équilibre nécessaire, se retrouve déchiré par la question du partage), mais je trouve qu'il y a quelques longueurs vers la fin (dès lors que les mexicains s'emparent de l'or, jusqu'à ce que les sacs soient retrouvés). Par ailleurs, les mexicains sont utilisés au minimum, assez caricaturaux : ou bien croyants, ou bien des shérifs sans pitié, ou bien des voleurs, mais dans le fond assez bêtes. Puis je ne comprends pas pourquoi les dernières scènes tout en espagnol n'ont pas été traduites (en tous cas en Z1. Heureusement, ce n'est pas trop gênant pour la compréhension globale), comme si ce n'était pas important pour le spectateur. Par contre le mot de la fin est chouette, très ironique, et ça recolle avec l'esprit de la montagne. Une fin qui aurait donc mérité d'être un peu plus sèche pour avoir plus d'impact, car on voit trop les choses arriver (c'est le revers de la médaille d'un scénario trop travaillé : c'est tellement huilé que tout est un peu sur des rails).