Dark Shadows de Tim Burton
(2012)
C’est après plus de deux ans d’absence que Tim Burton marque son retour dans les salles obscures avec Dark Shadows, comédie horrifico-fantastique, tirée de la série éponyme de Dan Curtis. Mais si le cinéaste américain bénéficie toujours d’une notoriété apparente, la sortie de ce nouveau long métrage semble être envisagée comme l’heure de la dernière chance par beaucoup de fans.
En effet, les derniers films du réalisateur le plus atypique des studios hollywoodiens avaient laissé un profond sentiment de déception, tant Alice au pays des merveilles, qui se révéla être l’un des plus gros ratés de sa carrière, que Sweeney Todd, qui malgré des qualités esthétiques peu contestables, n’avait pas réussi à faire l’unanimité auprès du public, notamment en adoptant une forme de comédie musicale, qui soulève encore beaucoup de réticences au cinéma. De plus, avec un casting très peu renouvelé, Burton prend le risque d’instaurer une certaine lassitude chez les spectateurs adeptes de sa filmographie.
Les enjeux étaient alors de taille pour ce nouveau projet, qui se devait impérativement de reconquérir un public frustré, n’attendant plus rien du génie de ce cinéaste, dont la singularité artistique avait laissé place à une standardisation cinématographique inintéressante et parfois de mauvais goût. Dark Shadows a-t-il su effacer les erreurs de parcours du cinéaste américain et a-t-il pu redonner un second souffle à sa longue carrière ? Quelle place prend ce long métrage dans l’univers Burton ?
En 1752, la famille Collins quitte Liverpool pour le continent américain. Arrivée en Terre Promise, celle-ci fait fortune par l’industrie de la pêche et impose petit à petit sa domination sur la ville. Vingt ans plus tard, Barnabas Collins, devenu riche et puissant, a alors tout pour réussir malgré la mort prématurée de ses parents. Pourtant, il commettra l’irréparable erreur de briser le cœur d’Angélique Bouchard, sorcière adepte de la magie noire, qui l’enfermera vivant après l’avoir transformé en vampire. Ce n’est que deux siècles plus tard, en 1972, que Barnabas parvient à se libérer de sa tombe, découvrant un monde totalement différent de celui qu’il connaissait autrefois…
S’il y a désormais une chose inhérente à la filmographie de Tim Burton, c’est bien son cercle restreint d’acteurs, dont l’attachement parait aujourd’hui indéfectible. On retrouve alors sans aucune surprise Johnny Depp, Helena Bonham Carter, Michelle Pfeiffer, et même Christopher Lee. Pourtant, on assiste à l’arrivée de nouveaux visages, tels que la ravissante Eva Green (Casino Royale), Bella Heathcote ou encore la jeune Chloë Moretz (Kick-Ass, Hugo Cabret). Si le scepticisme dominait à l’idée de voir une nouvelle fois une majorité de l’équipe rassemblée, étant donné leurs performances très irrégulières dans les derniers films de Burton, il faut bien avouer que la direction artistique fonctionne d’une manière agréablement surprenante. Depp (Barnabas Collins) et Bohnam Carter (Dr Julia Hoffman), trop souvent laissés en roues libres dans les réalisations antérieures, tiennent un rôle maitrisé, qui ne tombe jamais dans le grotesque. Eva Green (Angélique Bouchard), mise ici au premier plan, incarne avec justesse et élégance la perfidie de la femme vengeresse. Il faut également saluer la courte, mais bonne prestation des deux jeunes recrues de la distribution que sont Chloë Moretz (Carolyn Stoddard) et Gully McGrath (David Collins).
Si le bilan apparait clairement comme positif au niveau du casting, il se trouve plus nuancé d’un point de vue scénaristique.
Effectivement, une équipe aussi riche d’acteurs laissait supposer d’inévitables lacunes dans le traitement accordé aux personnages. Alors que le feu des projecteurs s’oriente constamment sur les rôles de Johnny Depp, d’Eva Green et d’Helena Bonham Carter, les autres protagonistes sont bien trop laissés pour compte, interrompant alors le développement d’intrigues portant réellement à intérêt (notamment concernant le personnage de Victoria Winters, interprété par Bella Heathcote, ou celui de David Collins, joué par Gully McGrath), et laissant ainsi place à des scènes, certes plus légères et divertissantes, mais sans impact significatif sur les enjeux du scénario.
Malgré ces défauts de fond, le film parvient habilement à mélanger plusieurs univers, passant d’un environnement gothique, à une ambiance empreinte des années 70, chaque volet étant superbement accompagné au niveau musical, avec un Danny Elfman toujours aussi compétent d’un côté, et une musique rétro des 70’s de l’autre.
On peut également souligner l’incroyable efficacité du scénario en termes de rythme, qui ne laisse à aucun moment le spectateur de côté, et qui compense ses carences d’écriture par de purs moments de comédie, mais aussi par des scènes bien plus sombres et plus fortes émotionnellement.
Pour ce qui est de la réalisation, Tim Burton nous délivre une œuvre techniquement soignée, puisant ses références dans sa propre filmographie, allant d’Edward aux mains d’argent à Sweeney Todd, et se laissant parfois aller à quelques originalités de mise en scène. Avec un budget de 150 millions de dollars, on aurait toutefois pu espérer une plus grande virtuosité dans la réalisation, qui à l’inverse du scénario, se veut résolument classique, et manque parfois d’ambition.
Avec Dark Shadows, le public de Tim Burton ne pourra que se sentir soulagé de revoir l’un de ses réalisateurs fétiches reprendre du poil de la bête, en livrant une œuvre de qualité, qui malgré ses défauts affichés, redonne une véritable bouffée d’air frais à la carrière du cinéaste et s’apprécie à chaque instant. Et si l’on ne retrouve pas toute la maitrise et l’audace qui ont façonné les pièces maitresses du réalisateur, on assiste bel et bien au retour du caractère plaisant, singulier et efficace de ses débuts, ce qui laisse alors présager une bonne continuation dans ses projets à venir…
7/10