L'Ordre et la Morale de Mathieu Kassovitz
(2011)
Seconde vision et le film reste clairement le même choc qu'en salles (voire même plus étant donné que j'ai pu découvrir les cinq première minutes du film que j'avais honteusement raté à sa sortie), œuvre chère à son auteur et qui, pourtant, aura commencé et finit dans l'indifférence totale du public français, L'Ordre et la Morale fait pourtant partie de ces quelques films français qui sortent du lot de par leur qualité exemplaire, d'autant plus que Mathieu Kassovitz signe ici ce qui peut être considéré à raison comme son film le plus mature. Le sujet traité par le film, bien que trop méconnu, est pourtant d'une importance capitale pour l'histoire des territoires français à l'étranger car faisant écho de façon assez étonnante à ce qui a pu provoquer la guerre d'Algérie, ainsi le mal-être du peuple Kanak et l'incompréhension totale de la plupart des français face à eux est véritablement le pilier central du film, l’événement de la prise d'otages de 1988 à Ouvéa étant finalement non pas quelque chose de secondaire mais plutôt un moyen indirect pour Kassovitz de parler des sous-thèmes pertinents qui se cachent derrière cette affaire qui ne peut que provoquer l'indignation. A l'instar de La Haine, Kassovitz trouve dans ce film une force d'écriture exemplaire, le métrage ne cherchant jamais à dévoiler une version neutre et juste de l'affaire. Certains reprocheront bien entendu au réalisateur de se donner le bon rôle puisqu'il incarne ici le leader du GIGN, celui qui voudra avant tout la négociation, mais force est de constater que ce choix est un résultat logique de la note d'intention du film puisqu'il présente les actes et faits au spectateur uniquement par les yeux de ce personnage.
De par ce choix, le film se revendique alors complètement subjectif et dépendant des pensées du personnage par rapport à une situation qu'il tentera en vain de comprendre, un choix qui est sûrement la plus grande force de L'Ordre et la Morale qui, avant d'être un film sur un événement, est surtout un film sur les réminiscences d'un homme qui cherche à comprendre comment il a pu en arriver là, dans un bourbier qu'il n'a jamais souhaité et qui est à l'encontre totale de ses principes personnels. Œuvre puissante sur le choc des cultures, sur l'incompréhension des hommes entre eux lorsque une idéologie entre en jeu, film de guerre sans guerre, L'Ordre et la Morale se révèle être aussi une peinture précise et véridique de la culture Kanak et de ses revendications au milieu d'enjeux politiques et économiques qui transforment la notion d'occupation du territoire en prise d'otage pure et simple (le discours sur l'exploitation du nickel résume parfaitement la situation). Non seulement Kassovitz trouve là son meilleur script, mais il arrive à trouver une certaine maturité dans sa mise en scène, oubliant la plupart de ses gimmicks tape à l’œil qu'il avait tenté de continuer aux États-Unis pour se concentrer sur la meilleure façon de raconter son histoire. Cela donne deux plan-séquences absolument géniaux dans leurs intentions, le premier jouant sur la notion même du flash-back au sein du cadre (ce qui rappelle beaucoup la première scène de Keoma) tandis que le second joue à fond sur l'immersion du spectateur au sein d'un assaut incompréhensible, mais cela donne aussi des dialogues travaillés dans la façon dont Kassovitz les aborde (double dialogue totalement justifié, rapport d'égalité entre les êtres, etc...). Visuellement, le film jouit d'un travail de cadre étonnant et même si le film n'a jamais été tourné à Ouvéa, cela ne se voit que très rarement. Enfin, le casting est hélas un peu trop inégale, si Kassovitz, son général et les Kanaks se révèlent exemplaires, on aura du mal à en dire autant de certains militaires qui entrent dans le surjeux beaucoup trop facilement. Vous l'aurez compris, sans être un chef-d’œuvre, le dernier film de Mathieu Kassovitz ne méritait absolument pas le dédain total du public français qu'il connaît encore à l'heure d'aujourd'hui. Non seulement L'Ordre et la Morale est un des films français les plus importants depuis le début du siècle, mais en plus il capte avec sincérité et justesse le conflit difficile qu'il retranscrit. Un grand film, ni plus ni moins qui, je l'espère, sera réhabilité le plus vite possible.
NOTE : 8/10