Ce film marque la séparation définitive de John Woo (à la réalisation) et de Tsui Hark (à la production), après avoir conçu ensemble la base du polar HK :
Syndicat du crime 1 et 2. Chacun est parti faire son truc avec le même script de base, mais avec un résultat complètement différent :
Syndicat du crime 3 (fausse suite du
Syndicat du crime) et
Une balle dans la tête, bien meilleur que ce dernier. Je ne vais pas m'étaler dessus, j'en ai déjà suffisamment parlé dans la critique précitée. Mais ce qui faut retenir de cette rupture artistique, c'est qu'elle a été bénéfique pour John Woo, qui a ainsi réalisé l'un de ses tous meilleurs films. En tous cas le plus sensible et l'un des plus étoffés en termes de narration.
Les quinze premières minutes sont d'une extraordinaire naïveté, mais contrairement à ce qui a été dit ici et là, elles préparent parfaitement la rupture de ton qui va suivre, beaucoup plus dramatique. De plus, cette débauche de sentiments fraternels est typique de la période HK de John Woo, et je trouve qu'ici, plus que jamais, elle y trouve sa place. En effet, nous voyons qu'ils sont prêts à tout l'un pour l'autre, et nous comprenons ainsi leur évolution psychologique. Si on rentre dans le truc, l'impact émotionnel n'en sera que plus grand. D'ailleurs c'est quoi cette amitié idyllique ? Ce n'est pas juste une course de vélos, les flirts, ou les rires entre potes. Mais c'est aussi se battre, mettre sa vie en jeu, pour s'aider mutuellement. Bref, on est loin d'une amitié toute rose où tout va bien, mais elle tient sur un fil, à fleur de peau, prête à basculer du côté obscur. Enfin, Woo préfère un flot d'images ininterrompues (à la manière du
Syndicat du crime), plutôt qu'une narration classique pour exprimer tout ça, ce qui forcément interpelle davantage que des échanges de mots, qui interviennent seulement en supplément émotionnel. Bref, cette introduction est absolument nécessaire pour l'évolution psychologique et dramatique du film.
La trame narrative est relativement classique, mais efficacement mise en scène et sans chichi, déjà généreuse en scènes d'action. Techniquement, c'est un peu à part. En termes de découpage et de scènes iconiques, ce n'est pas aussi bien défini que
The Killer,
A toute épreuve, ou même
Le syndicat du crime : plutôt qu'une régression qualitative, ça fait ressentir le chaos de la guerre. Le film est ponctué par différents événements, qui déterminent le cheminement psychologique des personnages, la perte de leur innocence : premier meurtre et utilisation des armes à feu, l'or et l'amitié, l'épreuve ultime : vivre seul ou mourir ensemble, règlement de comptes. Des preuves d'amitié sont parsemées tout au long : boire une bouteille (au contenu inconnu ...) d'un trait à la place d'un ami, mourir honorablement plutôt que vivre misérablement. Bref du Woo tout craché. Cette trame rappelle forcément
Voyage au bout de l'enfer, mais l'amitié est encore plus palpable, mise en valeur autant par les acteurs que par la mise en scène. Et c'est clair que les scènes s'enchaînent à grande vitesse, nous donnant l'impression que cette amitié se signe uniquement dans le sang, les larmes, et les explosions. Il y a aussi une petite amourette qui se met en place, qui n'est pas en trop, et apporte même un petit plus dans les enjeux (le héros qui s'en amourache est marié, ce qui rajoute à l'ébrèchement de leur vie ancienne). En conclusion, plus qu'un film d'action (pourtant très bien fait), voici une histoire vraiment nostalgique, triste, témoin d'une amitié progressivement détruite, corrompue essentiellement par l'ambition et la frénésie de la guerre, et remplie de symbolique.
Ce film a été aussi pour moi l'occasion d'assister à la naissance ou au plein essor de plusieurs acteurs chinois actuellement très connus : Tonny Leung et Simon Yam. Le rôle de ce dernier a d'ailleurs été approfondi, contrairement à ce qui était prévu (ça devait se concentrer autour du trio), car John Woo était impressionné par son talent. Son look ressemble au futur tueur de
The Killer, tout habillé en blanc, tuant de sang froid mais séducteur né. Un personnage secondaire et paradoxalement l'un des plus attractifs. Sur le trio d'amis, dans leur évolution personnelle, tous remplissent un rôle important digne d'une pièce de Shakespeare (osons les grands rapprochements) : Ben (Tony Leung), l'un des plus touchants mais qui devra faire des choses terribles durant la guerre pour sauver ses amis, Franck, passant du comique de service à la folie et sera le lien dramatique entre les deux autres, et enfin Paul, le corrompu. Par contre il y a quelques fautes de goût : je n'ai pas été totalement convaincu par la folie de Franck, dans le même ton que dans
Syndicat du crime 2, même si c'est bien mieux joué). Puis il y a celle du crâne, un peu grossière (allusion à
Hamlet ?). Mais dans l'ensemble ça passe assez bien. Le reste du casting est très bien, même si il n'y a pas trop d'autres têtes connues, et les deux petites chinoises sont très mignonnes, les atouts charmes du film.