Clairement l'un des films sur la folie les plus convaincants que j'ai regardés, avec
Shock corridor et
Vol au-dessus d'un nid de coucou. Dans le cadre de la psychiatrie, Mankiewicz développe ses thèmes de prédilection, particulièrement celui de la quête de vérité au sein d'une famille aux liens eux-mêmes malades. Il adapte ici le roman de Tennessee Williams, ce qui donne parfois des allures théâtrales à l'interprétation, aux décors (il y a une esthétique baroque dans le manoir, rappelant
Le château du dragon), ainsi qu'aux dialogues finement ciselés. Mais une fois accoutumé au style, c'est un véritable nectar qui nous parvient, malgré quelques retournements de situations qui me semblent un peu trop abrupts. Du grand Mankiewicz.
Bien que le film se focalise surtout sur les liens familiaux, le cadre dans lequel évolue la jeune femme est très bien décrit. Ce que l'on peut voir de l'hôpital psychiatrique est très crédible, montrant le peu de moyens en leur disposition (les défaillances techniques des opérations chirurgicales) ainsi que le cadre malsain (les patients entassés dans un espace réduit, le manque d'humanité qui s'en dégage). En outre, d'autres figures institutionnelles viennent conforter la prétendue folie de la jeune femme : la religion et la médecine moderne. Mais dans un mouvement dialectique, une autre vérité apparaît, reflet de leur propre définition de la normalité : chantres de la sexualité bridée et des bonnes manières, adorateurs de l'argent, et ignorants des tréfonds de la nature humaine. Bref, le chirurgien chargé de l'opération de la jeune femme aura aussi à combattre la société pour débusquer la vérité.
Ainsi ce dernier, pas très convaincu par les motivations de la famille et le jugement préconçu de la société à l'encontre de la jeune femme, opte plutôt pour une approche psychanalytique avant de se prononcer. En effet, cette famille se comporte de manière étrange, dans une atmosphère à demi fantastique. Les éléments se mettent doucement en place, de manière directe (les dialogues et les mises en situation), ou de manière oblique (la nature symbolique de ce qui nous est montré ou raconté, et surtout les décors évocateurs et remplis d'allusion à la psyché des personnages).
Le premier décor, le jardin d'hiver de la riche veuve, lance déjà des pistes. Sorte de mise en abîme du récit qu'elle développe avec le médecin, qui au lieu de se concentrer sur sa nièce, parle de son fils poète, et de ce fameux "été dernier" où il est décédé et a perdu simultanément sa créativité. Ce jardin est un lieu de création recréé dans lequel cette femme trône, descendant par le biais d'un ascenseur, telle une reine se mettant au niveau de ses sujets (n'oublions pas les relations maître/esclave, une thématique centrale chez cet auteur). Mais ce jardin d'Eden, luxuriant et épuré, est aussi marqué par la mort et la destruction, comme en témoigne cette plante carnivore qu'elle nourrit selon son bon plaisir, ou cette statue en forme de squelette. Un environnement qui trouve écho à son récit très étrange, spécialement son histoire sur les jeunes tortues se faisant dévorer à leur naissance par les oiseaux de mer, possédant en germe toutes les réponses : vision d'un monde (carnassiers/proie), d'un mode d'être (agir comme un dieu impassible), d'une sexualité (sa mère comme témoin de la scène). Réalité et psychologie s'entremêlent dans ce récit, et il est difficile de démêler les deux. Comme un collier de perles, nous collectons petit à petit les éléments de vérité de la bouche de la nièce et à partir de situations symboliques, jusqu'à la révélation finale apportée par le long flashback de cette dernière.
La réalisation semble peut-être statique, théâtrale, mais c'est le style de Mankiewicz, qui se contente de faire interagir (avec talent) décors, personnages, et dialogues. Ces derniers sont d'ailleurs de très haute volée (un des gros points forts chez ce réalisateur, et l'une des raisons pour lesquelles je le trouve si passionnant), très littéraires, et portés avec grâce, surtout par Katharine Hepburn, dans son rôle de mère entretenant une relation filiale ambivalente, et Elisabeth Taylor, troublée et dégageant une liberté et une sexualité bridées. C'est surtout eux et le travail sur les décors qui nous font croire à la folie ambiante. Je signale tout de même un petit effet de mise en scène durant la séquence ultime, une surimpression d'image du visage de la prétendue folle et de ses souvenirs, qui parvient à nous faire ressentir la tension psychologique, presque schizophrénique, de son personnage. En bref, l'un mes Mankiewicz préférés avec
L'affaire Cicéron. Malgré un dénouement clair, de nombreux double-sens font qu'on a envie de se replonger dans cette oeuvre puissante, renvoyant à de nombreux thèmes : famille, santé mentale, créativité, sexualité, désir, position sociale.