Le problème que je retrouve avec tous les films '80 de Hideo Gosha, c'est qu'ils se ressemblent beaucoup au niveau de l'histoire, des personnages, de la narration (feuilletonesque) et de l'esthétique, alors du coup il est parfois un peu difficile de dire ce que chacun apporte à cette période féminisante, étrangement l'un des plus gros succès du réalisateur auprès du public. Et celui-là ne fait pas l'exception avec son histoire d'un proxénète qui maltraite les femmes, et de certaines femmes qui essaient d'échapper tant bien que mal aux carcans imposés par les hommes, tandis que les autres se laissent posséder par eux tels des objets sexuels bien dociles.
Dans l'ensemble, il ne se passe pas grand chose dans cette histoire de famille, hormis une belle série de mélodrames (le fils malade, un autre fils qui part en prison, la fille adoptive exploitée, la mère qui a un cancer ...) qui incarnent presque tous les moments forts du film. Ce qui est plutôt réussi par contre, c'est la caractérisation du père et de la mère, à l'instar de la première scène qui montre bien l'ambiguïté de cet homme ramenant une orpheline pour qu'elle soit sauvée et bien éduquée, jusqu'au moment où on apprend qu'elle est destinée à être une geisha. Le regard de sa femme révèle beaucoup de choses, avant même que tous ces éléments soit connus du spectateur : un certain doute sur les véritables motivations de son mari, mais aussi une angoisse naturelle d'épouse et de mère de famille.
Il y a toujours une ambivalence autour de cet homme, un service pouvant rapidement se transformer un intérêt. Tout un jeu de pouvoir se met en place entre lui et les femmes, les réduisant bien souvent à un plan uniquement sexuel (thème primordial de Gosha à cette période), y compris les filles qu'il adopte avec qui il a une relation à la limite de l'inceste (que l'on retrouvait déjà dans les deux autres films de la trilogie). Ce qui nous donne l'un des érotismes les plus poussés du réalisateur que j'ai vus. Il couche à droite ou à gauche, mais garde malgré tout sa femme selon des principes que l'on devine être ceux de son ancienne vie de lutteur professionnel. Ce qui les sépare progressivement : son ascension sociale correspondant à une hausse de son désir et qui prend des proportions démesurées par la suite lorsque sa femme n'a plus la forme au lieu de la soutenir moralement. La place de cette femme est ainsi reléguée peu à peu, malgré elle, à sa qualité de mère de famille, accueillant les orphelins et enfants naturels de son mari. Bref, il s'agit d'un portrait cruel, machiste de la condition féminine de l'époque, entièrement enchaînée à l'homme qui avait un contrôle absolu de la manière dont il tenait la maison, ce qui est un désastre à presque tous les niveaux. Il représente le cynisme, le calcul, et l'absence d'amour. A l'inverse, sa femme représente la licence morale, le squelette vivant de la famille, naturelle ou adoptive, protégeant ses enfants contre l'ogre qu'est devenu son mari, lui tenant tête jusqu'au bout malgré les malheurs qui lui tombent dessus (mes deux séquences préférées avec elle : 1) la superposition famille/visage lorsqu'elle tombe malade : comme si sans elle la famille tombait en miettes ; 2) lorsqu'elle enlève sa belle-fille à la nourrice qui l'étouffe pendant son sommeil, révélant son sens aigu de la maternité). Enfin, la dernière scène est belle et touchante : ce n'est pas un happy-end, et on sent que c'est du vécu ces déchirements finaux, qui sont à la fois une prise de conscience des erreurs passées pour l'homme, et une drôle de libération pour la femme, privée de son rôle de mère, mais désormais, plus entretenue/exploitée par son mari.
Malgré tout, j'avoue que je n'ai pas été vraiment captivé par l'histoire, la faute à un rythme incorrectement établi. C'est dommage, car Gosha a construit une oeuvre assez importante sur la condition féminine durant la deuxième partie de sa carrière qui aurait pu être intéressante, mais qui est plus difficile d'accès que sa période polars & chambaras qui possédaient une structure narrative quand même plus prenante. Ici, le réalisateur nous balade de personnage en personnage, sur vingt années, sans qu'on soit totalement impliqué dans l'histoire à cause de la dispersion des enjeux, avant que l'intrigue se resserre enfin autour du couple (schéma qui se reproduit à chaque fois que Gosha adaptait l'un des romans de cette romancière). Même si j'ai bien aimé l'opposition qui s'est développée entre cette mère de famille intègre, et cet ancien lutteur pro progressivement pourri de l'intérieur par son environnement et le contexte de la crise, ainsi poussé par des principes devenus vides de sens, cette intrigue manque tout de même d'ampleur et de moments forts autres que les séquences de mélo. Une manière de traiter une histoire qui me rebute pas mal, comme si on forçait ma sensibilité, même si j'avoue que cette fois-ci Gosha n'y va pas aussi fort, offrant même un dénouement un peu plus optimiste, moins marqué par la mort, bien qu'en termes de déchéance, morale pour l'un, et sociale pour l'autre, on n'en est pas loin.
Quant à la réalisation, je l'ai trouvée plutôt correcte, discrète et élégante, au service de l'histoire, avec un gros travail sur les couleurs des kimonos et les intérieurs de maison, autre point qui m'a fait penser à du Ozu mais en moins statique, avec en bonus quelques idées de mise en scène, mais ça reste quand même assez anecdotique, surtout par rapport aux deux autres films de la trilogie sur les geishas,
L'ombre du loup et
Yohkiro. Par exemple, j'aime bien la manière dont on est utilisé un simple regard pour remplacer bien des mots. En tous cas, on comprend mieux les relations qui sont tissées entre les personnages qu'avec les autres films précités, bien qu'il y ait encore quelques manqués (comme le fils revenu de prison dont on ne comprend pas le retournement moral). Enfin je n'ai rien à dire contre les acteurs, bien qu'il y a un petit maniérisme dans l'interprétation propre à cette époque qui peut être fatiguant à la longue.