Sorti après le
Grand silence, Serge Corbucci confirme son talent avec
El mercenario, développant ses thèmes et ses personnages dans une configuration nouvelle, celle de la révolution mexicaine. Mieux réalisé que le film précité, plus ample, et plus ambitieux, il épuise aussi malheureusement plus rapidement toutes ses cartes, les vingt dernières minutes étant presque en trop, donnant la lourde impression d'un rajout artificiel. Il s'agit tout de même d'un très bon divertissement dans le pur style du western zapata (sous-genre d'un sous-genre, le western spaghetti), avec un gros travail sur la mise en scène (je retiens surtout la scène d'un casse, présenté par le mercenaire à l'aide d'un papier dont il raye les étapes au fur et à mesure) et le cadrage, un zoom souvent bien utilisé (bien que parfois un peu trop présent), et la musique de Ennio Morricone (en collaboration avec Bruno Nicolai) qui parvient à transcender bien des séquences (alternant flamencos et sifflotements, apportant tour à tour un certain rythme ou une poésie au récit).
J'ai beaucoup apprécié la mise en abîme du film. La structure de ce dernier apparaît clairement : d'abord le présent (l'après), puis un long flash-back (temps de la révolution), et enfin un retour au présent (les personnages se retrouvent, les destins se scellent). Or, par le biais d'une voix off (le mercenaire), le contexte et la tonalité nous sont présentés :
il vaut mieux être un clown vivant qu'un héros mort, faisant allusion à l'un des personnages (le révolutionnaire) faisant le clown en vrai dans une scène de corrida. Le contexte de la révolution permet de croiser le destin de quatre personnages aux motivations bien différentes :
- Le mercenaire (Franco Nero). Très bien habillé, ironique avec un petit sourire en coin, intéressé uniquement par l'argent justifiant ainsi le détournement de grandes causes telles que la révolution, véritable poule aux oeufs d'or pour lui. Il ressemble beaucoup au personnage de Clint Eastwood dans sa manière individualiste d'agir, sans aucune idéologie pour le guider, et livre une belle petite parodie de la révolution, en l'expliquant à l'aide d'un corps de prostituée (les pauvres = les fesses ; les riches = la tête ; le dos, ce qui les séparent ...). Graphiquement, il est iconisé différemment, ne ratant aucune occasion pour gratter son allumette à cigarette sur un nouveau support parfois bien insolite (un sein, des dents, ...).
- Le dandy (Jack Palance). Riche, tout aussi bien habillé et intéressé par l'argent, mais bien plus sadique que son alter-ego. Il me fait penser au personnage de Klaus Kinsky (
Le grand silence), presque aussi fourbe que ce dernier (à la différence que le dandy ne détourne pas l'idéologie à des fins purement égoïstes).
- Le révolutionnaire (Tony Musante). Grand rêveur, et tout aussi ignorant, il ne sait pas pourquoi il fait la révolution. Il est surtout influencé par ses fréquentations. Lorsque le mercenaire est à ses côtés, il prend l'argent des riches mais sans le redistribuer aux pauvres, et fait le fanfaron partout où il va, comme le clown qu'il deviendra. Mais lorsqu'une femme se joint à eux, le vrai sens de la révolution prend forme, moins innocente et parfois cruelle, radicale, sans compromission (y compris avec les anciens amis), loin de l'imagerie romantique qu'on lui prête.
- La femme (Giovanna Ralli). Pour une fois dans le genre, elle n'est pas traitée dans une optique machiste, et je dirais même qu'elle est le personnage le plus humain, car représentant la mauvaise conscience du mercenaire et du révolutionnaire, ralliés à la cause de l'argent. Elle incarne donc la véritable révolution, dans ses bons et mauvais côtés, mais aussi une cause beaucoup moins noble à travers son besoin de sexe (masculin) et de sang (de ses anciens bourreaux). Elle permet également au révolutionnaire d'être un homme, et d'apporter une forme plus réaliste à son rêve de faire la révolution.
El Mercenario brille donc surtout par la qualité de ses personnages (et de leur mise en scène), tous hauts en couleurs, gratinés, mais sans être bouffons comme bien souvent dans le genre traité. La mécanique fonctionne bien entre-eux, mais un peu moins pour le dandy. En effet, en tant que méchant il manque d'un cachet ou d'un background supplémentaire pour le rendre intéressant au-delà de sa fonction de s'opposer aux "gentils". La raison pour laquelle il s'acharne tant envers les deux autres comparses (le mercenaire et le révolutionnaire) n'apparaît pas toujours claire (l'argent, l'humiliation - on l'a mis à poil une fois -), et même le motif de la vengeance (un ami à lui meurt sous les balles de ses ennemis) ne semble pas convaincant, car sa relation avec la personne tuée n'a jamais été développée au cours du récit. Autre soucis, la transition entre les deux dernières parties semblent trop superficielles (la faute en partie au flash-back, qui est une belle grosse ellipse). D'abord le retour vengeur du dandy (son dénouement, le fameux duel à la Sergio Leone, est quand même bien classe, avec la petite touche personnelle en incluant les sons de cloche pour le ponctuer, et la fleur sur le dandy pour masquer l'impact de la balle). Puis les retournements psychologiques des deux autres personnages, qui sont trop abrupts (le révolutionnaire, enfin réaliste ; le mercenaire, apportant un dernier trait de lucidité à ce dernier en le sauvant in extremis, alors que c'était que pour sa gueule juste avant). Bref, ça manque un peu de subtilité vers la fin pour son passage de la décadence et au chacun pour soi, au romantisme et à l'amitié. Néanmoins, ce film est intéressant par le contre-point qu'il offre par rapport au
Grand silence, bien plus crépusculaire et nihiliste que son cadet, quoi qu'il semblerait que cette différence de tonalité ait d'abord des ressorts commerciaux (le premier était un échec au box-office).