Waltz with Bashir (Valse avec Bachir) de Ari Folman
(2008)
Clairement l'un des plus beaux films du monde, et accessoirement l'un de mes films favoris. Valse avec Bachir est tout d'abord une œuvre qui, encore aujourd'hui, souffre d'une comparaison injuste avec le Persépolis de Marjane Satrapi, non seulement pour leur appartenance commune à la compétition officielle cannoise à un an d'intervalle, mais aussi et surtout pour leur forme, à savoir le film d'animation autobiographique engagé. Sauf que là où Marjane Satrapi se contentait de livrer un film calqué sur sa bande-dessiné d'origine pour aboutir sur un produit final tout public et à la morale appuyée, Valse avec Bachir se veut être une œuvre inclassable au visuel osé, un mélange étonnant de film d'animation, de documentaire, de film de guerre, de récit autobiographique et de séance psychanalytique. Ari Folman, réalisateur israélien ayant été engagé durant ses jeunes années dans le conflit armé au Liban, un conflit dont il relate la recherche des souvenirs qu'il a totalement oublié plus de vingt ans après et qui le mèneront sur sa participation passive au tristement célèbre massacre de Sabra et Chatila. Ce qui étonne directement avec Valse avec Bachir, c'est évidemment sa volonté de neutralité dans les événements qu'il relate, loin de toute propagande et/ou de justifications du conflit, le récit se contente d'aborder le sujet par l'être humain et son ressenti.
Ainsi, le scénario, découlant directement d'un travail de recherche de Folman sur les récits des soldats qu'il a côtoyés à l'époque, prend le parti d'être, à l'image des souvenirs, porteur de doutes et d'un message inscrit dans la psychologie du personnage interviewé. Les récits troubles sont donc légions (le soldat qui rejoint la côté à la nage avoue lui-même ne plus se souvenir de l'effort), les rêves deviennent les indices d'une vérité à rechercher, une vérité qui pourrait même s'avérer dangereuse mais que l'on a besoin de connaître pour continuer à vivre pleinement son existence. Via une narration à la fois chronologiquement linéaire et scénaristiquement déconstruite, Valse avec Bachir emmène son spectateur dans des songes magnifiés à la fois sur le plan visuel et sonore, certains reprocheront la volonté de rendre la guerre belle, mais on est bel et bien là dans un univers de l'ordre de l'onirique, où la poésie peut jaillir de la danse d'un soldat mitraillant tout autour de lui pendant que le cauchemar demeure caché pour finalement se révéler réel dans les ultimes secondes du métrage. Derrière ces images au travail visuel à faire pâlir d'envie les plus beaux romans graphiques, Ari Folman n'oublie pas de représenter avec brio les représentations les plus extrêmes de ses personnages, que ce soit la peur de la mort, le mécanisme de défense contre la violence (l'appareil photo imaginaire) ou encore le besoin de l'être féminin pour le sentiment de protection et de tendresse qu'il représente, Valse avec Bachir devient avec certaines séquences une représentation ultime de la psychologie humaine dans un conflit guerrier où les ordres et actions absurde et les abominations se côtoient sans cesse. La mise en scène se révèle être d'une maîtrise franchement inattendue, le film étant le premier pas de Folman dans le domaine de la réalisation. Un parti-pris qui lui permet de mieux mettre en images les folies visuelles de l'esprit mais qui lui donne aussi l'occasion de présenter des cadres remarquables où l'inspiration de l'art pictural se ressent très souvent.
Cela donne quelques séquences mémorables, comme la fameuse vision qui reviendra plusieurs fois hanter le personnage principal mais aussi des scènes d'errance porteuses d'un message fort à l'image de cette séquence dans l'aéroport où l'esprit oublie quelques instants la guerre pour se protéger. Quand à la séquence finale qui retrace la chronologie totale du massacre de Sabra et Chatila, elle évite le côté choc qui aurait pu aisément compromettre la totalité du métrage. Il est étonnant par ailleurs de voir à quel point le film a été critiqué au Moyen-Orient pour son soi-disant parti israélien alors que, justement, il ne fait jamais l'apologie de son gouvernement (bien au contraire, il est mentionné clairement qu'Ariel Sharon a laissé faire les phalangistes) et donne toujours des points de vue subjectifs où le doute et l'erreur sont permis. Et si Ari Folman se pose lui-même en personnage principal, ce n'est nullement pour lancer une quelconque morale qui d'ailleurs s'impose d'elle-même, il incarne avec honnêteté la personne qu'il est à la vie et le traitement du métrage en sort grandement grandi car suintant la véracité des situations à chaque image. Enfin, difficile de ne pas aborder le film sans évoquer la bande-son tout simplement magnifique, outre la géniale séquence du This is not a love song de Public Image Limited c'est bien évidemment du travail de Max Richter qu'il faut saluer. Compositeur trop rare mais toujours talentueux (on lui devra la plus belle piste sonore du Shutter Island de Scorsese), Richter permet au film de Folman de posséder une ambiance unique qui contraste souvent avec les situations montrées à l'écran, et la séquence de la vision est de loin l'un des plus beaux morceaux musicaux jamais entendus dans un long-métrage. Film important et parfait de la dernière décennie, Valse avec Bachir aurait clairement mérité la récompenses ultime du Festival de Cannes 2008 (surtout lorsque l'on voit qui a gagné le prix cette année là), hélas il est depuis souvent honteusement oublié parmi les grands films de ces dernières années. Représentation originale, osée et réussie de la guerre vue et analysée par l'esprit humain, Ari Folman a tout simplement signé une œuvre complète à la beauté rarement atteinte, à la fois film de guerre magnifique, drame prenant, OVNI cinématographique génial et chef-d’œuvre total.
NOTE : 10/10