Millenium
5/10David Fincher est un réalisateur résigné (dans son relationnel avec les producteurs) qui pourrait, au vu de sa filmographie, suivre un objectif précis quand à la confection de ses films. Point sur lequel beaucoup de fans sont unanimes, le bonhomme maitrise à la perfection les nouvelles technologies au service d’une réalisation inventive, novatrice et parfois un brin trop tape à l’œil. Ce qui crée la discorde par contre, c’est la qualité très fluctuante des œuvres livrées par cet esthète (maniaque) de l’image.
1992, le réalisateur, tout droit sorti d’une expérience riche dans le monde du clip va se faire les dents sur une saga maousse en tentant de digérer le lourd héritage laissé par de grands faiseurs tels que Ridley Scott et James Cameron. Fincher, en vrai jeune loup, s’affranchit du poids de ses ainés pour livrer un objet filmique d’une noirceur jouissive tout en réinventant la mythologie, s’attirant au passage le courroux de la production et des fans. Au-delà de la réussite plastique du film et du process très douloureux de production, Alien 3 lui permet, malgré tout, de se faire un nom. La perspective de réaliser un film beaucoup plus en phase avec son univers voit le jour avec un thriller qui va changer la face du genre. Dès cet instant, la croisade de Fincher est lancée jalonnée de commandes à la plastique irréprochable finançant, de facto, un projet plus personnel. Seven sera donc le second film du réalisateur et le chef d’œuvre vénéneux que l’on connait, symbole d’une volonté de trancher avec les codes instaurés et d’une liberté acquise dans la douleur de son premier essai. Fincher aura sa revanche sur les gros studios avec un final cut noir et sans appel. Un brin de colère semble émaner de cette œuvre fantastiquement désespérée. Puis s’en suit un The Game retord, intéressant mais finalement sans moelle bien qu’il soit une vraie réussite de dimanche soir. Son succès prouve que David Fincher sait jongler avec les impératifs commerciaux. Il achète donc une nouvelle fois sa liberté artistique pour shooter son pamphlet Fight club, objet sulfureux vénéré par des cohortes de fans qui va malheureusement perdre un peu de sa superbe au fur et à mesure que les années s’égrainent. Puis retour à la case commerciale avec son effort le plus vain, Panic Room, ou sa caméra virevolte certes mais au service d’un script trop flemmard. La technique est toujours aussi bluffante et le succès sera là, de quoi voir l’avenir sereinement et mettre sur pied l’un des films d’investigation les plus classe des années 2000. Zodiac étale toute sa maestria artistique et narrative. Le film est dense, magnifique et jamais pénible malgré ses 180 minutes au compteur. Malgré toute les qualités qu’on peut lui trouver, le film est quand même un vrai suicide artistique aux yeux des producteurs (trop long, pas de stars…). Le bide est inévitable, mettant à terre un Fincher de plus en plus en mal de reconnaissance de ses pairs. Alors, le technicien se remet au travail livrant à nouveau un produit vide à la coquille somptueuse. A cet instant, on se surprend même à accuser le réalisateur de vendre son âme à l’académie des Oscars tant son Benjamin Button pue le classicisme qu’il a toujours fuit. Malgré un pitch original, le film est long, pénible et trop farci de bons sentiments. L’ensemble aurait tendance à presque se prostituer pour avoir une précieuse statuette. Alors oui, ça récolte des nominations par-dessus la tête mais le film sera, malgré tout, le grand perdant artistique malgré son florilège de prix technique (amplement mérité une nouvelle fois). Au sortir de cette expérience, David Fincher surprend son monde en s’appropriant le monde de Facebook tout en relatant la genèse houleuse du site. Et là, la claque est énorme puisqu’il torche un film une nouvelle fois formellement fabuleux tout en renouant avec la paranoïa du meilleur des polars 70’s. Sur la trame simpliste de la succès story, Fincher brouille les cartes, souille ses personnages principaux et livre une nouvelle fois un film d’investigation superbe transcendant un sujet finalement peu intéressant. Avec social Network, on sent le réalisateur cette fois ci sur les bons rails et l’on se prend à rêver lors de l’annonce officielle de son retour au thriller qui tache. Le voir aux commandes de la trilogie Millenium nous rend fébrile et la perspective d’un 3eme thriller chef d’oeuvrissime pointe le bout de son nez.
Ben là, on a malheureusement tout faux, la déception est à la mesure des attentes. Gigantesque. La technique est sobre mais toujours présente. Les décors suédois participent grandement à l’ambiance anxiogène du propos mais le projet se tire une balle dans le pied dès sa genèse. Qu’on le veuille ou non, le poids de la trilogie suédoise se fait bien présent lors du visionnage. Les films sont beaucoup trop récents pour que ce remake puisse respirer. On arguera que le film d’Alfredson (ou je sais plus qui d'ailleurs!) a le rythme d’un Derrick mais je le trouve supérieur à l’adaptation de Fincher. On y perd le glauque (le viol est moins hardcore par exemple) et les bonnes trognes scandinaves au profit d’une américanisation agaçante du propos. On assiste à une amourette naissante entre les deux héros alors que l’original laisser planer un doute bien plus adapté. Encore une fois, l’esthétique pulvérise la réalisation académique du réalisateur suédois mais le fond est tout ce qu’il y a de plus classique. Pis encore, le déroulement de l’intrigue est ampoulé et l’on en vient à regarder sa montre durant ces longues 150 minutes. Craig tire la tronche comme d’habitude et il faudra compter sur une Rooney Mara surprenante pour ressentir une vraie empathie et non le détachement suscité par un casting général volontairement glacial mais finalement pas si intéressant que cela. Seul Stellan Skarsgard sort son épingle du jeu avec un rôle qui lui va comme un gant. J’ai trouvé David Fincher grandement flemmard sur ce coup là et sa réalisation étrangement effacée pointe un élément désagréable. Fincher se fait chier avec cette histoire. On ne le sent clairement pas. Il shoote de beaux plans, il a imposé un tournage dans la ville d’origine du roman mais on a l’impression d’un gars fatigué, éreinté de son tournage qui, selon de nombreux articles, fut jalonné d’embuches comme son Alien 3. En tout cas, l’envie n’est pas là. Je veux bien croire que le roman de Stieg Larsson, malgré le succès, ne soit pas un truc marquant mais encore une fois le film original se révélait bien plus intéressant dans l’ambiance, le jeu et un glauque sérieusement assumé. Malheureusement, un générique stylé et clipesque ne fait pas un film. Passé ce joli court, le film se fait sage et longuet malgré quelques pointes de cul gentillettes.
Je sors donc de ce visionnage grandement déçu même si le film n’est jamais pénible à regarder. J’en garde juste quelques jolies images de la Suède et puis c’est tout. Et ce n’est pas ce que j’attends d’un David Fincher. Je veux, au-delà de la beauté des images qu’il propose, qu’il marque les esprits avec son culot, qu’il se démarque et non qu’il disparaisse dans l’océan des thrillers de samedi soir. Là je suis désolé mais rien ne sort de l’ordinaire. Il faudrait être une pucelle du thriller pour y voir un produit novateur ou le chef d’œuvre que certains fans aveugles du réalisateur ont pu y voir. Millenium à la sauce Fincher est un film bien trop sage, source de nombreuses désillusions et d’un classicisme déconcertant pour celui qui a renouvelé le genre à deux reprises et de façon flamboyante.