[Dunandan] Mes critiques en 2012

Modérateur: Dunandan

Scene at the sea (A) - 7/10

Messagepar Dunandan » Mer 18 Avr 2012, 00:54

A scene at the sea

Réalisé par Takeshi Kitano

Avec Kuroudo Maki, Hiroko Oshima

Drame, Japon, 1h37 - 1991

7/10


Beau, lent, et contemplatif : voilà les adjectifs qui me viennent à l'esprit avec A scene at the sea. Il s'agit certainement du film le plus épuré et même le plus modeste du cinéma de Kitano, lequel continue, après Violent cop et Jugatsu, à définir son style, qui va aboutir à l'un de ses chefs-d'oeuvre, Sonatine. Le cinéaste se concentre ici sur la partie calme de son cinéma, en extirpant la violence graphique de ses précédents films, et en reprenant un thème qui est le fil conducteur de toute son oeuvre : le problème de la communication des individus, livrés plus ou moins à eux-mêmes, emmurés dans leur monde intérieur. Cet handicap social est ici représenté de manière physique et symbolique par ce couple de sourds-muets qui s'intéressent soudainement au surf, après la vue d'une planche de surf amputée d'un morceau, comme eux-mêmes. L'inscription sur la planche pourrait résumer leur état émotionnel : "nage ou coule". Ainsi, à travers cet artefact, il s'agit bien plus que d'une simple passion, mais du lieu d'expression avec le monde qui les entoure.

L'histoire est quasiment inexistante, réduite à la progression de l'apprenti surfeur et à deux concours auxquels il participe (étrangement ce n'est pas la partie la plus intéressante, preuve qu'il ne s'agit surtout pas d'un film sportif, prétexte à explorer autre chose). La réalisation est elle-même épurée, concentrée autour de longues scènes durant lesquelles le couple de sourds-muets se dirige vers la mer, ou s'asseyent, fixant calmement cette dernière. Ainsi, au niveau de la forme, cela ressemble à une série de tableaux, mise en musique par la musique de Joe Hisaishi, première collaboration avec le cinéaste d'une série relativement longue, qui vient épouser le mouvement émotionnel de ce couple de sourds-muets tantôt mélancoliques, tantôt porteurs d'une joie indicible, en fonction de l'évolution de leur parcours ou de l'humour de certaines situations. Lorsque la musique est absente, il y a une chance pour que le silence soit rompu par le va et vient rythmique et hypnotique des vagues, mélodie apaisante, et lieu typique de ressourcement des personnages pour Kitano. Un dernier élément sonore vient perturber la muraille quasi autistique de ce couple : d'autres personnages qui soulignent par leurs remarques l'effort de ce surfeur atypique, et aussi l'encouragement et les moqueries dont il bénéficie ou subit, qui traduisent ainsi subtilement les propres pensées du sourds-muet. En étant attentif, à l'intérieur de cette série poétique de tableaux maritimes sont inscrits des indices d'une dynamique relationnelle entre les deux sourds-muets, qui communiquent uniquement par les regards, ou par la distance ou la proximité qui se crée entre eux. D'abord unis par leur handicap, la planche devient momentanément un obstacle, jusqu'à ce qu'ils retrouvent un équilibre, et qu'ils s'entre-aident de nouveau autour de cette passion. Il se produit la même chose avec les autres surfeurs, d'abord simplement spectateurs, puis attentionnés et amis : par l'intermédiaire du surf, ces petits groupes au départ séparés, s'agglomèrent peu à peu, véritable leçon pour cette société menacée par la solitude (ce point était légèrement abordé dans Jugatsu avec le base-ball). Ce couple a même une influence majeure sur leurs détracteurs du début, sorte de binôme comique par leur pathétique, à travers lequel on retrouve l'humour de Kitano, qui est plus légèrement distillé que d'habitude, ce qui permet aussi de ne jamais perdre de vue le couple de sourds-muets.

Cependant, le contenu est quand même assez limité bien que touchant, et je suis sceptique quant à la longueur du dénouement final. Après la disparition poétique du surfeur muet, fusionnant en quelque sorte avec la mer (mort ? accomplissement personnel ?), je n'ai pas trouvé qu'il était intéressant de faire encore durer le film par l'apparition des flash-backs soulignant les meilleurs moments vécus par le surfeur. Je trouve que le film aurait du se terminer sur le plan avec la planche du surfeur et la photo du couple collée dessus. Il s'agissait d'un moment suffisant fort pour se quitter sur ces images. Sinon, j'aime beaucoup les acteurs interprétant le couple de sourds-muets, et la réalisation, bien que très simple, possède en germe tout l'art de Kitano, équilibre fragile entre images et musique. Un film encore mineur, mais qui a permis de développer d'autres aspects importants du style de Kitano, tels que les silences ou le transport poétique.
Comme son titre l'indique, il s'agit d'un film très épuré se déroulant autour de la mer, sur un thème majeur : le problème de la communication. Pas l'un des meilleurs Kitano, mais tout de même précieux pour ce qu'il développe.
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Clerks, les employés modèles - 7/10

Messagepar Dunandan » Mer 18 Avr 2012, 05:33

Clerks les employés modèles

Réalisé par Kevin Smith

Avec Kevin Smith, Brian O'Halloran, Jeff Anderson, Marilyn Ghigliotti, Lisa Spoonauer, Jason Mewes

Comédie, USA, 1h31 - 1994

7/10


Résumé :
Dante est caissier dans une épicerie du New Jersey. Randal est employé dans le vidéo-club voisin. Les deux amis débattent régulièrement des sujets les plus divers. Et parfois, la routine laisse place à des journées pour le moins étonnantes.

Clerks est un film fauché, en N & B, qui repose essentiellement sur la qualité de ses dialogues et de l'univers qu'il est en train de créer autour de glandeurs (je me demande si The Big Lebowski ne s'en serait pas inspiré). En effet, plusieurs de ses personnages, tels Silent Bob et Jay (deux dealers passant leur temps à glander devant le magasin, le premier parle seulement pour dire - ou pas - une vérité importante, comme l'étranger de Leone, tandis que le second parle tout le temps pour dire des conneries, parfois drôles), sont récurrents dans les films de Kevin Smith. Et peut-être plus que sa suite, la richesse des dialogues est le gros point fort de ce film, rien de moins que du niveau d'un Tarantino. Bien qu'il s'agisse d'une comédie, je n'ai pas ri aux éclats (beaucoup moins que dans le second épisode), mais peu importe vu l'intelligence du propos malgré un langage souvent cru.

Il s'agit essentiellement de l'histoire de deux "loosers" qui tiennent chacun un magasin. Ces gars pourraient être nous-mêmes tant ils sont naturels. Et nous les suivons à travers une journée entière, concentrant des situations plus ou moins réalistes, portant sur les conditions de ce type de travail. Tout y passe : les clients chiants, bizarres (exemple : le conseiller d'orientation devenu à moitié fou réalisant que sa vie est inutile) ou stupides, les discussions autour des relations amoureuses et le sexe (parfois déviant), assumer ou pas sa vie. Tout est traité de manière brillante, existentialiste, composant avec un ton décalé (exemple : fermer le magasin contrairement au règlement, pour jouer au hockey sur le toit afin de faire ce qui était prévu à la base) et un langage ordurier : passer d'une discussion sur la pipe aux femmes en général ; faire des trucs de fou, et aller se plaindre contre les autres, alors que nous en sommes seuls responsables. Il s'agit d'un film important, actuel malgré son âge relativement avancé, et nous remet ainsi les idées en place sur des thèmes qui nous concernent souvent directement (amour, travail, amitié, but dans la vie). Il sait aussi se montrer drôle, à l'image de la discussion geek portant sur la Guerre des étoiles (dans le second ce sera le SDA). Enfin, les acteurs jouent au naturel, la réalisation est sobre (par contre j'avoue que les intertitres n'aident pas toujours à suivre l'intrigue), soutenue par une musique rock des années 90 (j'adore lorsque Jay fait ses pas de danse dessus). Un classique de la comédie sociale, et il me tarde de voir les autres films de Kevin Smith.

Pas aussi drôle qu'attendu, mais des dialogues riches et importants sur les conditions de vie de la génération des "loosers".
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar Killbush » Mer 18 Avr 2012, 17:15

Tiens, je me le refais ce soir ou demain celui là, tu les auras tous vu au final ?
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar Dunandan » Mer 18 Avr 2012, 17:39

Non, je commence :mrgreen: : Mallrats ce soir et Méprise multiple demain. Si j'ai le temps Jay et Bob contre-attaquent. Je ne peux pas regarder deux comédies à la suite, comme tout genre en général d'ailleurs ...
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar Killbush » Mer 18 Avr 2012, 17:44

Nickel, Jay & Bob c'est peut être mon préféré, tu regretteras pas :wink:
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar Mark Chopper » Mer 18 Avr 2012, 17:48

Et tu fais bien de les voir dans l'ordre, vu à quel point Jay & Bob... fait référence aux premiers :super:
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar Killbush » Mer 18 Avr 2012, 17:51

Non seulement ça cite toute la filmo de Smith mais c'est peut être le plus gros méta-film que j'ai jamais vu, le nombre de références, de clins d'oeil et de mise en abime des dialogues, c'est hallucinant (en plus du défilé ininterrompu de caméos geeks)
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar Mark Chopper » Mer 18 Avr 2012, 17:53

En strict terme de postmodernité jouissive, c'est à égalité avec Last Action Hero.
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar Dunandan » Mer 18 Avr 2012, 17:54

D'ailleurs je pense qu'avec le temps, ce sont des comédies qui vieillissent très bien, et que je pourrais revoir à la hausse. D'habitude pour moi c'est le contraire : quand la surprise est tombée, les gags sont aussi moins drôles. Je souligne que pour moi à partir de 7/10, c'est une bonne note pour les comédies.

EDIT @ Killbush : tout à fait d'accord, t'as anticipé ma pensée :super: @ Mark : ben pareil :mrgreen:
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Vivre dans la peur - 6,5/10

Messagepar Dunandan » Mer 18 Avr 2012, 22:33

Image
Vivre dans la peur, Akira Kurosawa (1955)

Akira Kurosawa traite ici un sujet personnel : la peur de la bombe atomique, et de manière plus générale, un père qui veut sauver ses enfants de la menace nucléaire. Un thème louable, important pour l'humanité. La première séquence nous met d'abord en porte-faux, avec ces gens qui marchent comme des automates dans la rue, comme si rien ne les inquiétait : la société continue à fonctionner comme avant. Plus tard, nous rejoignons ce père, un riche vieillard joué avec intensité par Toshiro Mifune (vieilli pour l'occasion et méconnaissable), est pris comme un fou par ses enfants. Ses réactions sont en effet disproportionnées par rapport à un comportement raisonnable : il veut absolument convaincre ses enfants de partir avec lui au Brésil, car il a peur d'être "assassiné" (le mot est important) par la bombe atomique (la meilleure scène selon moi : lorsqu'il prend un éclair pour une bombe et qu'il court s'abriter au-dessus de son petit-fils : un signe avant-coureur qui dément l'égoïsme qu'on lui attribue). Mais ces derniers ne sont pas d'accord, et font appel au tribunal familial pour le mettre sous tutelle, sous motif qu'il n'est plus en état de gérer ses affaires (en plus il a eu des précédents financiers pour les mêmes raisons). Ainsi, selon les apparences, les enfants ont raison, et le père a tort. Mais nous comprendrons plus tard que ce comportement excessif est la peur incarnée d'une menace bien réelle que la société japonaise ne prend pas au sérieux. Vers la fin, un médecin résume parfaitement cette logique-là : est-ce qu'il est réellement fou, ou est-ce nous qui sommes fous de rester ainsi impassibles ?

ImageImageImage


Malheureusement, le propos du film est pauvre, mal rythmé, tournant uniquement autour de la volonté d'une part, des enfants de rester au Japon, et d'autre part, du vieillard de partir au Brésil. L'unique tournant narratif est de montrer que ce dernier n'est pas si fou que ce qu'il paraît, et que les enfants veulent finalement profiter de lui (ils travaillent dans son usine) et de sa richesse. Ainsi, le seul intérêt du film, selon moi, mis à part le sujet respectable qu'il était important de traiter, est le personnage même de Mifune, incarnant la peur "elle-même", autant pour lui que pour les autres, révélant ainsi un humanisme trop grand pour lui - masqué derrière son apparence et son comportement insolites - qui le condamnera finalement, dans une fin très noire. Enfin, l'autre personnage important du film, le médiateur, a finalement peu d'intérêt, alors qu'il annonçait celui qui pouvait aller à la source de cette peur : il n'est qu'une accroche narrative, puisque c'est par son intermédiaire que nous rejoignons l'histoire principale, au tribunal que les enfants ont convoqué pour mettre leur père en tutelle. Malgré tout, il s'agit d'un beau film, mais plombé par un rythme inégal et qui aurait pu être traité selon moi en une heure sans trop en altérer le fond, qui n'est même pas rattrapé par la réalisation, somme toute assez banale (même la musique est off), centrée sur le personnage joué par Mifune.


ImageImage

Un beau sujet et une interprétation intense de Mifune sur la peur de la bombe A par ce père qui veut sauver le monde qu'il connaît (sa famille, ses ouvriers). Malheureusement, ça manque d'enjeux narratifs et de rythme.
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Film: Vivre dans la peur
Note: 9/10
Auteur: Val

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Glandeurs (Les) - 6,5/10

Messagepar Dunandan » Jeu 19 Avr 2012, 03:56

Les glandeurs (Mallrats)

Réalisé par Kevin Smith

Avec Jason Lee, Ben Affleck, Shannen Doherty, Claire Forlani, Joey Lauren Adams, Jason Mewes, Kevin Smith, Renée Humphrey, Tricia Jones, Stan Lee

Comédie, USA, 1h30 - 1995

6.5/10


Résumé :
Deux "glandeurs" accomplis passent une journée dans un grand centre commercial, l'un des deux tentant de récupérer sa petite amie qui l'a quitté le jour-même. Au cours de cette journée pas comme les autres, les deux héros vont croiser une galerie de personnages pour le moins cocasse, dont certains apparaissent plus "glandeurs" qu'eux !


Je n'ai pas été totalement convaincu par ce film. Il s'agit d'un Clerks avec plus de moyens techniques, mais en moins inspiré. Parlons d'abord des choses qui changent. La comédie romantique prend le pas sur la comédie sociale. Le public auquel se destine cette histoire s'est apparemment élargi, puisque le langage employé est plus soft. Les discussions geek tournent désormais davantage autour des comics. Le cadre du récit change, nouveau huis-clos, cette fois-ci au supermarché. Ce qui ne change pas, ce sont les personnages principaux, ersatz de l'ancien duo de Clerks, bande de "loosers", avec un équilibre semblable, un expansif et un plus sage. L'histoire est extrêmement simple : les deux amis consomment leur rupture avec leurs petites amies au supermarché du quartier, en profitent pour humilier le père de l'une d'entre-elles au cours d'une émission de télé (du style Tournez manège pour ceux qui ont connu cette époque), et pour récupérer leur douce au passage.

En fait, je n'ai pas trouvé ce film aussi drôle que les deux autres Clerks, visiblement en haut du pavé de la filmographie de Kevin Smith. Puis les dialogues sont beaucoup moins intelligemment écrits, avec un discours social noyé dans ces histoires romantiques un peu niaises sur le fond (mis à part quelques scènes, si authentiques, comme la raison de rupture de l'un d'eux, causée essentiellement par une partie de jeux-vidéo qu'il voulait terminer), et j'ai plus souri qu'autre chose, hormis toutes les scènes parlant de comics, durant lesquelles mon petit coeur de geek s'est réveillé. Mais les personnages les plus drôles n'étaient pas selon moi les deux principaux, mais Jay et Silent Bob, s'évertuant à gâcher l'émission de télévision par des techniques de super-héros (Batman, Serval, Jedi), et aussi Stan Lee faisant un caméo en expliquant que l'émotion de ses super-héros est le résultat d'une rupture amoureuse. Bref, le comique de situation est cette fois-ci généralement plus drolatique que celui des dialogues (à part quand ça part dans le référentiel, je le répète).

Pas spécialement mauvais, je trouve que ce film gâche un peu son potentiel en bouffant à deux râteliers en même temps, comédie romantique et références geek, sans trouver un réel équilibre entre les deux. Par contre, Jay et Silent Bob se confirment comme des comédiens vraiment drôles, et le caméo de Stan Lee est vraiment jouissif.
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Re: [Dunandan] Mes critiques en 2012

Messagepar Killbush » Jeu 19 Avr 2012, 09:18

Mark Chopper a écrit:En strict terme de postmodernité jouissive, c'est à égalité avec Last Action Hero.


Putain, comment j'ai pu zappé, je reformule donc :mrgreen:
Killbush a écrit:Non seulement ça cite toute la filmo de Smith mais c'est peut être le plus gros méta-film que j'ai jamais vu juste derrière le chef d'oeuvre ultime du genre Last Action Hero !
Le nombre de références, de clins d'oeil et de mise en abime des dialogues, c'est hallucinant (en plus du défilé ininterrompu de caméos geeks)
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Affaire Cicéron (L') - 9,5/10

Messagepar Dunandan » Jeu 19 Avr 2012, 23:19

L'affaire Cicéron

Réalisé par Joseph L. Mankiewicz

Avec James Mason, Danielle Darrieux, Michael Rennie

Espionnage, USA, 1h43 - 1952

9.5/10


Résumé :
En 1944, Diello sert un ambassadeur anglais à Ankara, en Turquie. Il en profite pour livrer des photographies de documents secrets alliés aux Nazis sous un nom de code : Cicéron. La comtesse polonaise Anna Staviska fait mine de l'aider.


Au début, par le biais d'une voix off, nous sommes informés du contenu des documents secrets dont il sera question dans l'histoire, et donc de la véracité des informations prodiguées. Ainsi, l'intérêt du film se trouve ailleurs : dans la parfaite greffe entre récit d'espionnage et un thème propre au metteur en scène, la relation dialectique entre maître et valet. La mise en abîme est parfaite, très bien mise en valeur par des dialogues ciselés, distingués, avec une délicieuse touche de cynisme, qui est l'une des grandes spécialités de Mankiewicz : l'espionnage ressemble à des commérages. Ailleurs, un parallèle est fait entre la transmission des informations secrètes et l'écoute aux portes. Bref, le réalisateur a repris le genre de l'espionnage avec sa patte personnelle, et je dois dire, avec un peu d'étonnement, que le mariage entre les deux fonctionne admirablement bien.

Les lieux de l'action se déroulent principalement dans des ambassades, en Turquie, qui se prêtent aux intrigues et aux intrigants, connues pour sa circulation continue d'informations secrètes. Ce cadre-là me fait penser aux Chaînes conjugales, qui dépeignaient également une apparence de façade derrière lesquelles se cachent des motivations diverses. Les intérieurs sont réalisés en studio, tandis que tous les extérieurs ont été filmés en Turquie, ce qui donne non seulement une impression d'authenticité mais aussi de dépaysement, soutenu par une musique toujours adaptée aux images, passant du classique pour les lieux de réception, à des chansons traditionnelles pour la comtesse, aux musiques orientales pour les rues. La réalisation est simple, statique, et toute dévouée au cadre, aux dialogues, et à la mise en scène : de tout le film, nous n'aurons droit qu'à une seule course poursuite et à aucun coup de feu.

Le metteur en scène joue beaucoup avec notre attention, multipliant les faux-semblants, la guidant d'abord vers une comtesse déchue en quête d'un protecteur, neutre politiquement mais prête en privé à toutes les alliances pour retrouver son statut d'antan, puis nous redirige vers un individu à l'identité d'abord inconnue, mystérieuse, qui se révélera bien assez tôt : un domestique qui connaît ses maîtres par coeur, et rêve de se hisser à leur niveau par ses ruses. Puis peu après, sa relation avec la comtesse se révèle, et le récit d'espionnage se transforme en lutte du maître et de l'esclave. Ce rapport social est bien présent, bien que l'argent guide leurs motivations, brisant ainsi, seulement en apparence, la glace entre leurs deux mondes. Donc, pas d'idéologie derrière leurs actes, mais une seule volonté de trouver ou redorer un statut social. Les dialogues sont riches de sous-entendus, masquant à peine, par leur aspect précieux, une lutte féroce entre les deux individus. Comme dans un film noir, la femme se révélera à la fois la motivation de ce domestique (le changement de classe ne se fait pas sans témoin), mais aussi son paravent (elle protège son gain, et aussi, ayant déjà approché un dignitaire allemand pour avoir de l'argent, elle est la coupable idéale), et la faille de ce plan si brillant.

Cependant, même si la partie de l'espionnage avec ses enjeux politiques et stratégiques n'est pas centrale, elle n'est pas pour autant mise de côté, essentiellement basée sur un habile jeu du chat et de la souris. Dans un premier temps, les allemands doutent sans cesse de la vérité de ces informations, trop belle pour être vraie, et ce, jusqu'au bout. Et les contre-espions avaient leur coupable devant eux et n'étaient même pas capables de le voir, s'attendant à autre chose qu'un simple serviteur. D'autre part, la partie de "ménages" est dynamitée par un coup d'éclat de la comtesse qui oblige le domestique à accomplir lui-même un dernier coup qui pourrait lui coûter cher, alors que le reste s'était déroulé sans heurts pour lui, et aussi par une lettre parfumée de la part de cette femme suite à sa trahison, qu'on devine avoir une importance capitale (elles le sont toujours dans les films de Mankiewicz). J'avais craint que ce tournant soit moins intéressant, et il apporte au contraire du piment à l'histoire, avec une belle touche d'humour lorsqu'une autre domestique, par sa bêtise, précipite l'autre personnage dans une merde pas possible (un type d'humour analogue à celui de Kubrick). Enfin, la fin est bien noire, féroce, et met fin brutalement à l'espoir de ces deux personnages. Le rire final du domestique, quelques secondes auparavant superbe vainqueur contre sa condition sociale et les obstacles qui se sont dressés sur sa route, puis à présent précipité vers une chute inattendue, mêlant tant de sentiments à la fois (désespoir couplé à la joie de voir son alter-ego féminin l'accompagner dans sa chute) m'a convaincu qu'il s'agissait d'un grand chef d'oeuvre.

Mankiewicz signe ici l'un de ses meilleurs films, parvenant à réaliser le mariage parfait entre film d'espionnage et lutte des classes sociales, tout particulièrement grâce à la qualité de ses dialogues, à la fois distingués et d'un cynisme redoutable, et par un déroulement narratif inattendu malgré les faits historiques connus d'avance.
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Méprise multiple - 7,5/10

Messagepar Dunandan » Ven 20 Avr 2012, 05:53

Méprise multiple

Réalisé par Kevin Smith

Avec Ben Affleck, Jason Lee, Joey Lauren Adams, Dwight Ewell

Comédie romantique, USA, 1h45 - 1997

7.5/10


Résumé :
Deux amis, Holden McNeil et Banky Edwards, heureux créateurs d'une BD, rencontrent lors d'un salon une consoeur, Alyssa Jones. Holden tombe amoureux d'Alyssa. Mais il découvre qu'elle est homosexuelle. Il deviennent cependant amis et finissent par devenir amants. Cette liaison affecte l'amitié des deux garçons et la situation se complique lorsqu'Holden apprend le passé d'Alyssa.


Tout le début du film serait difficilement compréhensible et perdrait en intérêt si on a pas déjà vu les autres Kevin Smith, puisque nous retrouvons Jay et Silent Bob, deux personnages présents dans chacun de ces films, transformés ici en héros de comics, avec des références multiples à leurs anciennes aventures. Les deux co-auteurs de ce comics sont dotés d'un profil psychologique décidément récurrent des films du réalisateur : d'un côté le pervers sexuel à la langue bien pendue et incontrôlable (Jason Lee, qui avait déjà joué ce type de rôle, et ça lui va à merveille), de l'autre le gars "normal", aspirant à une vie "normale" (Ben Affleck, habituellement très mauvais acteur, il est bien chez les Kevin Smith). Comme d'habitude, la dynamique de ce duo fonctionne très bien : c'est tordant de voir le second essayer de rattraper les dérapages du premier. J'ai particulièrement apprécié le salon de BD, avec la crise que se tape le coloriste, accusé de faire de la simple décalcomanie, et surtout, l'accusation de la Guerre des Etoiles, par un auteur noir faisant la publicité du soit-disant premier comics mettant en scène un héros noir, d'être une série de films racistes dressés contre la communauté noire (???). Ensuite, le film met de côté pendant un certain temps ses multiples références au cinéma et aux comics pour dériver vers un autre genre plus conventionnel, mais traité de manière non conventionnelle : la comédie romantique. Non conventionnelle, car le type "normal" tombe amoureux de la mauvaise fille, une homosexuelle (ça ne m'étonnerait pas que ce soit du vécu). J'étais plié lorsque ce dernier croyait que la chanson de la fille lui était adressé, alors qu'on voyait très bien, par la magie du cinéma, qu'elle concernait une autre fille. Puis le moment qui suit, découvrant le visage de son pote changeant d'expression, d'abord boudeur (il est jaloux) et ensuite rayonnant, vraiment énorme. Enfin, dans la continuité, j'étais mort de rire pendant la conversation de cul qui se déroule entre le pervers et l'homosexuelle, agissant comme si c'étaient deux vieux potes (les "blessures de guerres" à la Arme fatale ...).

Dans la deuxième partie, la comédie est un peu en berne, et la romance prend le dessus. J'ai eu parfois du mal avec la fille, car elle a une voix et une tronche assez insupportables pour moi (les avis divergent ...). Mais heureusement, les dialogues sont bien écrits, et deux scènes m'ont permis de passer légèrement outre mes réticences : la discussion autour de la normalité sexuelle, vraiment brillante et faisant tomber les tabous autour du clivage hétérosexualité/homosexualité (trouver la "bonne personne" sans se poser de limites), puis la déclaration amoureuse, vraiment touchante et désespérée. Bon, ça pleurniche un peu trop par moments, surtout de la part de la fille, mais la tournure de leur histoire romantique (doit-on s'arrêter au passé sexuel d'une personne ?) est assez intense pour que la pilule passe, qui met en jeu non seulement deux individus à la personnalité opposée (le type vierge d'expériences "différentes" et la femme qui aurait "tout" connu), mais aussi l'amitié de ces deux dessinateurs. Enfin, nous retrouvons le duo Jay/Silent Bob, toujours énorme, avec ce dernier qui nous sort encore une vérité (sorti de son expérience) dont il a le secret. Puis j'adore Jay qui revient à la charge : l'amour n'est qu'une salope à plusieurs visages ... Bref, si j'avais trouvé la romance dans Mallrats un peu niaise, ici elle est autrement plus mature et profonde, voire libératrice sur la question du choix sexuel préférentiel. Pour terminer, la fin aurait pu tomber dans le sentimentalisme à deux balles si elle n'avait pas cette touche d'originalité, offrant l'une des plus belles demandes de pardon que je connaisse, à l'intersection du romantisme et de la culture geek.

Une comédie geek qui dérive vers la romance, mais avec un traitement non conventionnel. Pas si drôle que ça (sauf dans la première moitié), mais très mature et profond, sur la question majeure de la normalité sexuelle.
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Shock Corridor - 8/10

Messagepar Dunandan » Ven 20 Avr 2012, 23:50

Shock Corridor

Réalisé par Samuel Fuller

Avec Gene Evans, Constance Towers, Peter Breck

Drame, USA, 1h35 - 1963

8/10


Résumé :
Ambitieux, le journaliste Johnny Barrett entend décrocher le Prix Pulitzer. Pour cela, il se fait interner dans un hôpital psychiatrique où il enquête sur une affaire de meurtre.


Première incursion dans la filmographie de Samuel Fuller et première claque pour ma part. Jamais à ma connaissance l'univers de l'asile n'a été aussi bien dépeint jusqu'au Vol au-dessus d'un nid de coucou. Le script de base ressemble légèrement à celui de Shutter Island, mais à part cela, ces films n'ont rien en commun. D'abord par son sujet : nous assistons ici à l'infiltration d'un journaliste dans un asile de fou en employant les techniques psychiatriques connues afin de se glisser dans le moule. Puis par son pessimisme bien plus profond (en tous cas que le premier). Ce dernier point est soutenu par l'approche esthétique du film, un N & B sublime, relativement rare à l'époque, qui renforce l'ambiance oppressante de cet endroit, et la voix off du personnage principal, très bien placée, et suivant le parcours intérieur de ce dernier, redoublant ainsi l'impression de la folie qui le guête peu à peu. On pourrait même aller plus loin : tout le film semble être envahi par une sorte de tension ou d'angoisse, à l'exemple du cabaret, à l'intersection de la réalité et d'un rêve très noir. Le fil directeur du récit est l'immersion de ce journaliste dans le "monde" des témoins d'un meurtre que le journaliste cherche à élucider. La folie qui les habite est vraiment plus vraie que nature, et m'a même fait rire par moments tellement ils sont dans leur univers, et particulièrement les deux premiers, le cow-boy et le noir raciste (puis aussi celui qui ressemble au chanteur d'opéra obèse et italien). Le troisième, l'infantile, est le moins intéressant par sa pathologie, et aussi car son passé remonte trop rapidement, mais c'est compensé par la frustration du journaliste qui n'arrive à sortir aucun mot de sa bouche. En partageant leur obsession, la vérité remonte à la surface durant des éclairs de lucidité, exprimés par le biais de flash-backs en couleurs. Cet effet rend moyennement bien à mon avis, ressemblant plus à des images documentaires qu'à une plongée onirique dans l'inconscient, l'effet recherché me semble-t-il. A ce niveau-là, j'ai préféré l'expression des lubies du journaliste, mise en images par un simple effet de surimpression qui a un petit côté baroque. Enfin, on se sent triste lorsque inéluctablement, ces moments de vérité ne durent pas, et les fous replongent dans leur univers comme dans un long coma, car leurs obsessions auraient pu être les nôtres, et n'avons-nous pas nos propres "zones de confort" pour supporter le monde "normalisé" ?

Au-delà de l'authenticité des lieux et des personnages, nous découvrons également que ces derniers sont des victimes de la société, et en reflètent toutes les peurs : du racisme, du conflit nucléaire, du puritanisme, ou encore de la guerre. Il y a aussi une véritable mise en accusation contre ce système de santé, qui en plaçant les fous avec d'autres fous, ne permet pas de les guérir. Et même plus encore : en introduisant des sains d'esprit, il n'est pas certain qu'ils en ressortent de la même manière qu'ils y sont entrés. Bref, nul échappatoire pour les patients (encore un point où c'est plus sombre que Vol au-dessus d'un nid de coucou). Enfin, il y a un très bon casting, rempli d'inconnus, les acteurs qui interprètent le journaliste et les fous en tête. Le seul petit bémol que je pourrais signaler, ce sont les transitions, parfois trop répétitives (même technique d'approche du journaliste pour chacun des fous), ou abruptes (exemple : comment le troisième témoin s'est rappelé brusquement de son passé ?). Puis aussi la notion du temps, qui avance un peu trop vite, bien que la folie du journaliste soit progressive, et donc cohérente. A ma connaissance, il s'agit de l'un des meilleurs films du genre.

A la fois une enquête policière dans l'ambiance oppressive d'un asile, avec une authenticité rare et un N & B sublime, et une mise en accusation de ce système-là qui masque et contient les maux de la société. Tout cela servi par un très bon casting. Seul petit défaut : quelques transitions mal senties.
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