A scene at the sea |
Réalisé par Takeshi Kitano |
7/10 |
L'histoire est quasiment inexistante, réduite à la progression de l'apprenti surfeur et à deux concours auxquels il participe (étrangement ce n'est pas la partie la plus intéressante, preuve qu'il ne s'agit surtout pas d'un film sportif, prétexte à explorer autre chose). La réalisation est elle-même épurée, concentrée autour de longues scènes durant lesquelles le couple de sourds-muets se dirige vers la mer, ou s'asseyent, fixant calmement cette dernière. Ainsi, au niveau de la forme, cela ressemble à une série de tableaux, mise en musique par la musique de Joe Hisaishi, première collaboration avec le cinéaste d'une série relativement longue, qui vient épouser le mouvement émotionnel de ce couple de sourds-muets tantôt mélancoliques, tantôt porteurs d'une joie indicible, en fonction de l'évolution de leur parcours ou de l'humour de certaines situations. Lorsque la musique est absente, il y a une chance pour que le silence soit rompu par le va et vient rythmique et hypnotique des vagues, mélodie apaisante, et lieu typique de ressourcement des personnages pour Kitano. Un dernier élément sonore vient perturber la muraille quasi autistique de ce couple : d'autres personnages qui soulignent par leurs remarques l'effort de ce surfeur atypique, et aussi l'encouragement et les moqueries dont il bénéficie ou subit, qui traduisent ainsi subtilement les propres pensées du sourds-muet. En étant attentif, à l'intérieur de cette série poétique de tableaux maritimes sont inscrits des indices d'une dynamique relationnelle entre les deux sourds-muets, qui communiquent uniquement par les regards, ou par la distance ou la proximité qui se crée entre eux. D'abord unis par leur handicap, la planche devient momentanément un obstacle, jusqu'à ce qu'ils retrouvent un équilibre, et qu'ils s'entre-aident de nouveau autour de cette passion. Il se produit la même chose avec les autres surfeurs, d'abord simplement spectateurs, puis attentionnés et amis : par l'intermédiaire du surf, ces petits groupes au départ séparés, s'agglomèrent peu à peu, véritable leçon pour cette société menacée par la solitude (ce point était légèrement abordé dans Jugatsu avec le base-ball). Ce couple a même une influence majeure sur leurs détracteurs du début, sorte de binôme comique par leur pathétique, à travers lequel on retrouve l'humour de Kitano, qui est plus légèrement distillé que d'habitude, ce qui permet aussi de ne jamais perdre de vue le couple de sourds-muets.
Cependant, le contenu est quand même assez limité bien que touchant, et je suis sceptique quant à la longueur du dénouement final. Après la disparition poétique du surfeur muet, fusionnant en quelque sorte avec la mer (mort ? accomplissement personnel ?), je n'ai pas trouvé qu'il était intéressant de faire encore durer le film par l'apparition des flash-backs soulignant les meilleurs moments vécus par le surfeur. Je trouve que le film aurait du se terminer sur le plan avec la planche du surfeur et la photo du couple collée dessus. Il s'agissait d'un moment suffisant fort pour se quitter sur ces images. Sinon, j'aime beaucoup les acteurs interprétant le couple de sourds-muets, et la réalisation, bien que très simple, possède en germe tout l'art de Kitano, équilibre fragile entre images et musique. Un film encore mineur, mais qui a permis de développer d'autres aspects importants du style de Kitano, tels que les silences ou le transport poétique.