Alexander est un film mal-aimé, tant au box office que par la critique. Mais il serait dommage de passer à côté de ce nouveau montage, qui est bien meilleur que le précédent, et me fait redécouvrir le film, à la manière de
Kingdom of Heaven. Malgré les défauts toujours présents (casting inégal, longueurs, raccourcis narratifs et historiques), le récit est bien plus fluide et riche qu'avant, notamment grâce à un placement pertinent des flashbacks, qui rendent visibles de manière subtile l'ascension et la chute d'Alexandre.
Bien que le film retrace avant tout la destinée personnelle d'Alexandre, le contexte historique n'est pas pour autant mis de côté, bien au contraire. En effet, l'historien Ptolémée, l'un des généraux d'Alexandre, est présent au début et à la fin, et omniprésent par une voix-off, pour nous dessiner les contours de cette époque. Il ne nie pas posséder toute la vérité, et donc admet les limites de son entendement, tout en nous donnant ses propres hypothèses. Ainsi, j'ai eu le sentiment de ne pas être trompé sur la marchandise, ce qui est assez rare dans le genre. Le choix d'enchaîner avec la bataille de Gaugamélès (présente dans la version cinéma au bout d'une heure) aurait pu être casse-gueule, et pourtant je le trouve vraiment pertinent, tant cette séquence résume le profil psychologique d'Alexandre : son lien affectif avec l'armée (la manière de s'adresser personnellement à chacun, nous permettant aussi de les identifier et de nous attacher à eux), son talent de stratège (admirablement lisible grâce à la présence de sous-titres, absents de l'ancien montage, qui nous indiquent quelle partie de l'armée est en mouvement), son rêve démesuré (envahir la Perse, Empire gargantuesque), la différence idéologique (ses hommes se battent pour la liberté, ceux d'en face y sont forcés), et enfin, le choix cornélien qui s'offre à lui (abandonner son armée ou foncer vers le chef ennemi). Puis jamais une bataille entre grecs et perses n'a été aussi bien filmée, sanglante à souhait (peut-être plus encore que
Braveheart).
Chaque flashback intervient ainsi pour éclairer un trait particulier de la personnalité de Alexandre. Les mythes (Hercule et Achille), modèles culturels de ce dernier. Les travaux sur le corps effectués dès l'enfance (la lutte). La sagesse grecque, importée par Aristote, privilégiant la modération par rapport à l'excès, et présentant une idéologie douteuse sur les femmes (qu'il faut craindre car elles seraient soumises aux passions) et la géographie (la Grèce, les Lumières antiques ; et l'Asie, des barbares qu'il faudrait éduquer). La bisexualité, qui était une pratique courante, voire encouragée (y compris par Aristote). L'idée de conspiration et les fatricides qui s'ensuivent. Puis il y a surtout l'influence du père et de la mère d'Alexandre, qui se détestent mutuellement. Le premier veut être fier de son fils (la magnifique scène de dressage du cheval) et lui enseigne le difficile parcours pour devenir roi et le danger des tentations du pouvoir. La seconde couve son fils, et lui inculque l'idée qu'il serait fils de Zeus. Aucun des deux parents n'est traité de manière manichéenne, et ainsi les zones d'ombre et de lumière s'enchaînent, empêchant le spectateur de se positionner. Au final, il n'est pas étonnant que Alexandre se décentre progressivement du pouvoir central pour fuir l'ombre de ses parents, qui finiront tragiquement par le rattraper (Babylone - tentations du pouvoir - ; Roxane - reflet de sa mère - ; paranoïa avec des soldats ...).
Ainsi, tout ce background (hormis le fait de nous immerger dans la richesse du contexte historique), a pour fonction d'essayer d'expliquer les motivations d'Alexandre. C'est comme s'il agissait à contre-courant de ses parents dans un conflit oedipien, et obéissait d'autre part à l'idée d'universalité grecque qui n'avait jamais été appliquée de manière aussi absolue à l'époque. Libération des peuples conquis. Possibilité d'offrir une éducation grecque ou une formation militaire à ceux qui le souhaitent. Mariages entre différents peuples pour consolider l'union. Tous des principes grecs qui étaient destinés à eux seuls et que Alexandre offre à tous. La seconde grande bataille, se déroulant en Inde, symbolise cette rupture entre Alexandre avec les siens, géographiquement et mentalement, à l'extrême opposé de la première bataille. Le coeur n'y est plus, et le désir d'Alexandre de faire du monde un peuple uni est devenu plus fort que l'écoute des siens, provoquant ainsi sa chute inexorable. Au niveau esthétique, cette saturation est exprimée à travers le filtre de couleur rouge.
Selon moi, le casting n'est pas le point fort du film. J'ai parfois du mal à "voir" Alexandre derrière les traits de Colin Farrell avec sa teinture blonde, bien que son interprétation torturée soit justifiée, résultat d'un conflit profond entre ses parents et son rêve de grandeur. D'autre part, je ne trouve pas que se mettre du mascara (ça existait vraiment ou est-ce un anachronisme ?) soit suffisant pour jouer un homosexuel (Jared Leto), malgré des scènes de sexe plus explicites que dans la version cinéma (on aperçoit même les parties intimes de Farrell ...), et des signes d'affection touchants : il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, je ne saurais dire exactement quoi. Par contre, j'ai trouvé que les personnages secondaires étaient tous bons, Val Kilmer en tête. Il y a aussi quelques longueurs sur la durée, surtout vers le milieu du film. Cependant, le rythme est très bien géré, grâce à l'alternance parfaitement dosée entre flashback et narration linéaire. Enfin, la réalisation est de haute volée et la musique de Vangelis est magnifique, dont l'esthétique générale est digne d'un
Kingdom of Heaven, avec un traitement plus gratiné de la violence et du sexe. Bref, malgré ces défauts, j'ai été séduit par la richesse et le souffle épique qui jaillit de l'ensemble, plaçant ce film dans la petite famille des grandes fresques historiques réussies de ces vingt dernières années.