Film noir, cruel, comique, Fargo est pour moi l'un des 3-4 meilleurs films des frères Coen et fait partie de ces polars qui réinventèrent le genre à son époque. En mettant en scène ce plat pays qui est le leur, les frères Coen ironisent avec tendresse sur l'aphasie caractérisée de leurs congénères et signent une descente aux enfers dramatique sous couvert d'une bonhommie ambiante.
Nulle question d'action musclée, et encore moins de course poursuite spectaculaire. Comme à l'accoutumée dans le cinéma des frangins, il s'agit plus ici d'un sombre plan foireux bourré d'aléas (la trame ressemble un peu à une version hivernale du
Big Lebowski), engrenage aussi burlesque que pitoyable. Tout se passe à la hauteur de ces hommes et cette femme, placides, benêts et donc tragiquement humains, voire même comiques d'un point de vue sociologique. Les frères Coen semblent avoir puisé leur inspiration dans les faits divers glauques de leur campagne natale et ont choisi des gueules pas possible pour incarner ces personnages. William H. Macy, Frances McDormand, Steve Buscemi, Peter Stormare. Autant d'acteurs connus d'habitude pour des 2nds rôles et intelligemment choisis ici pour donner un cachet véridique à l'ensemble, presque social, des performances d'acteurs magnifiques. Et comme toute histoire vraie (qui n'en est pourtant pas une...), le plan fomenté par le mari va partir en vrille, les truands sont avant tout des sales cons patibulaires et les flics ne sont pas les super cops espérés. Pour autant la cruauté ne restera pas impunie et la vie de ces gens simples prendra ici, le temps d'un film, une dimension de conte cynique : le format scénaristique traditionnel made in Coen.
Mais leur réal, en abandonnant certaines de leurs figures de style habituelles, habille cette histoire de brume et de glace. Et tout est ici d'une froide et implacable simplicité (ce qui rappelle
No Country). Et c'est tant mieux, car l'horreur des situations, la violence froide et sourde ainsi que l'aspect comique des rapports humains, y gagnent en intensité et en fulgurances. Et c'est cette puissance dans la banalité qui confère à ce polar son originalité et sa force. Ajoutés à cela des performances d'acteur phénoménales, un rythme parfait, des dialogues et des situations décalées, un score génial de Carter Burwell et une très belle photo de de Roger Deakins qui magnifie les paysages neigeux, Fargo est le prototype parfait des films des frères terribles; à savoir un talent de cinéaste énorme, une intelligence et une subtilité artistique dans leur traitement, le tout au service d'un humour ludique et d'une noirceur irrésistible.
Puissant, grandiose, génial.