Contrairement à ce qui a été dit sur ce film et à ce que pourrait suggérer son titre (littéralement "la cité nue"), il s'agit avant tout d'une enquête policière. Cependant, la voix off et la mise en scène insistent fortement sur le cadre de la ville. Avant que le crime commence, on veut nous imprégner de l'atmosphère générale, du pouls de la ville et de ses habitants, avec ses hauts immeubles, ses rues grouillantes de vie, et le train-train quotidien de ses travailleurs.
Mais ensuite, l'intrigue se resserre fortement autour de l'enquête policière, rondement menée, dirigée par un inspecteur expérimenté utilisant sa cervelle, tandis que son second utilise ses jambes et son instinct. J'aime beaucoup les deux acteurs interprétant les enquêteurs, ainsi que les autres rôles, particulièrement un suspect qui ment sur (presque) tout, malheureusement pour lui coupable idéal, qui devient presque comique tant il est essaie maladroitement de s'en sortir. J'ai bien embarqué grâce à leur jeu qui ne m'a pas paru artificiel malgré l'ancienneté du film.
La voix off accompagne finement l'enquête pour insister sur la difficulté de cette dernière, et construire un lien avec la ville, sur au moins deux niveaux. D'abord les effets directs du crime sur les habitants à travers la presse à sensation, qui devient un véritable sujet de discussion pour les uns et les autres, et attire tous les malades psychiatriques qui voudraient faire partir de l'événement ainsi constitué. Puis sur la possibilité que chaque habitant soit un suspect. La complexité de l'enquête pourrait en effet être comparée à la recherche d'une aiguille dans une botte de foin. Ainsi, les suspects s'enchaînent. Selon les alibis et les liens trouvés ou pas, l'enquête avance ou patine. Celle-ci n'est pas que l'occasion de découvrir les mobiles et la localisation du coupable, mais aussi l'identité multiforme, changeante de la victime, chaque connaissance apportant un élément nouveau à sa personnalité.
La photographie est l'un des points forts du film. Je comprends pourquoi elle a fait l'objet d'un oscar. Durant l'introduction, la voix off a signalé lourdement qu'il n'y avait aucun décor de studio et que tout a été filmé dans de véritables immeubles ou rues. Effectivement, on a jamais le sentiment d'être coupé de la vie de la ville, mis à part lors des interrogatoires, et encore, parce que dans certains lieux on peut encore apercevoir la ville derrière les fenêtres.
Enfin le dénouement final est très bien mis en scène. Pour figurer l'impossibilité pour le criminel de se cacher dans l'immense ville, quoi de mieux qu'un pont, ne se situant nulle part à priori. De là haut, on peut observer la ville, la dominer, mais seulement symboliquement, ni physiquement ni géographiquement. De plus, cette séquence est l'une des mieux filmées, avec par exemple cet escalier cadré en contre-plongée, ou en arrière-plan, la ville baignant dans l'ombre, légèrement spectrale. La toute dernière scène est magnifique, véritable contre-point de cette philosophie de la ville où chacun semble inter-changeable : le criminel, phénomène de quelques jours, rapidement oublié aussitôt l'électricité de la sensation disparue (même sa famille s'en est écarté), accompagnant la tartine du matin, et la victime, demeurant dans la mémoire de ses proches ou des personnes qui ont eu une bonne opinion d'elle.
Je n'ai pas beaucoup de bémols à signaler. Peut-être le sentiment que la ville aurait pu être plus tentaculaire. Car l'un des thèmes du film demeure quand même la ville, cadre essentiel de l'enquête, et la sensation de ne jamais trouver le coupable dans cet immense espace. Or seuls la voix off, le déroulement de l'enquête, et le montage alterné indiquant l'activité de la ville, me semblent nous mettre sur cette voie-là. Ainsi, le film se situe à l'embouchure de plusieurs genres : film policier, film noir, et film atmosphérique, avec un brin de légèreté apporté par les personnages principaux et l'incongru de certaines situations.