9,5/10
Le Deuxième Souffle de Jean Pierre Melville - 1966
" A sa naissance, il n'est donné à l'homme qu'un seul droit : le choix de sa mort. Mais si ce choix est commandé par le dégoût de sa vie, alors son existence d'homme n'aura été que pure dérision "Quand le meilleur réal français adapte le meilleur écrivain français de polar (
Le Trou,
Classe tout risque entre autre) ça donne forcément un masterpiece, et un vrai, on parle pas de Dune de Villeneuve.
Melville c'est avant tout un univers bien personnel où on retrouve toujours les mêmes thèmes et toujours les mêmes genres de perso devant les mêmes dilemmes, ici on a donc Lino Ventura en gangster au sens de l'honneur plus fort que tout qui va faire son dernier casse avant de raccrocher mais qui a ses trousses un flic qui le respecte, donc autant dire que le film ne propose rien d'original, mais voilà chez Melville tout ça est transcendé par une virtuosité sans faille et des acteurs au sommet.
Un film qui pose pleins de questions mais qui ne donne aucune réponse, à nous de nous construire le background des personnages, ainsi la relation qui unit Gu à Manouche est juste suggérée mais au détour d'un dialogue on apprend qu'ils sont frère et soeur ce qui surprend vraiment, la loyauté qui unit Alban à Manouche et Gu est très claire mais on ne sait rien de leur passé, pourquoi l'un des frères Ricci apprécie Gu et pas l'autre (alors que c'est un élément important du récit), qui sont les 2 codétenus qui s'évadent avec Gu, en fait le film ne s'intéresse pas au passé et la linéarité du récit nous emmène lentement mais surement vers une issue inéluctable (synthétisée par des indications temporelles très précises).
Comme toujours avec Melville, on met du temps à arriver à l'intrigue principale du film, ainsi pendant plus de 40 minutes c'est plus une succession de scénettes (mais malgré la lenteur c'est vraiment captivant), le début est muet (c'est un peu une marque de fabrique chez Melville ça), on est plongé dans un univers très alambiqué où on apprend petit à petit qui est qui et qui fait quoi, puis quand le casse arrive, tout devient plus tendu, tout devient plus sombre, tout devient plus méchant (on flingue sans pitié) et jamais Melville ne tombe dans la facilité de glamouriser ou de trouver des circonstances atténuantes à ses personnages, non Gu est un gangster et quand il doit tuer un flic il n'a pas d'état d'âme. Par contre il réussit très bien à humaniser ses personnages (j'aime bien comment la peur de Gu est traitée), je trouve d'ailleurs que c'est son film le moins froid.
Les 2h30 passe donc toute seule et le souci de minutie de Melville est un pur régal.
La réal de Melville est une nouvelle fois inattaquable avec pleins d'idées, de maitrise et de sens du cadre ( j'adore le plan de l'arbre qui cache la voiture, l'évasion d'intro et ses angles de caméra surprenant et une nouvelle fois Melville joue très bien avec les miroirs ), la scène où Orloff va au rdv est vraiment excellente sur la forme (encore une scène muette de quasi 5 minutes absolument captivante), Melville sait instaurer une putain de tension et comme son personnage joue avec ses interlocuteurs, Melville joue avec nous (la fausse piste du flingue planqué est une idée géniale) et comme dans le Doulos on a un super plan séquence bon il est ptet un peu moins virtuose mais il est quand même impressionnant, un quasi monologue de 5 minutes avec un Paul Meurisse génial qui joue aux questions/réponses avec les témoins, le gunfight final a un coté très moderne et le casse bein Melville c'est le maitre du genre et là pour le coup il est même plutôt original car c'est pas souvent qu'on voit un braquage en pleine garrigue ( et les préparatifs, passage obligatoire de ces scènes sont réduis au strict minimum).
( dans les bonus y a un interview d'époque de Melville qui vaut le détour, on apprend entre autre qu'il a refusé de réaliser Week-end à Zuydcote mais surtout il met un petit taquet à la nouvelle vague )
Lino Ventura (dans un rôle prévu pour Serge Reggiani au début du projet, d'ailleurs Reggiani manque un peu dans le film, il aurait été parfait dans le rôle de Paul) trouve ici un de ses meilleurs rôles ( avec
l'Armée des Ombres bien entendu ) alors il fait du Ventura, il joue quasi toujours de la même manière mais bon les rôles demandent ce genre d'interprétation et Ventura maitrise ces rôles à la perfection, Paul Meurisse est le meilleur acteur du film et ses apparitions sont jubilatoires tant le voir réciter des dialogues de Giovanni est un vrai régal, Meurisse au même titre qu'un Reggiani c'est l'époque où les acteurs français étaient aussi bon que les ricains, maintenant on a Guillaume Canet et Gilles Lellouche. Michel Constantin a peu de dialogue, il est donc très bien (Non parce que bon Constantin çà se voit que acteur c'est pas son métier à la base). Pierre Zimmer j'ai pas trop compris pourquoi il est doublé par le doubleur de Clint, Christine Fabrega dans le seul rôle féminin du film (car chez Melville c'est comme chez Peckinpah, y a pas de place pour les femmes ) fait le boulot sobrement, le reste du casting composé de tête plus ou moins connu est parfait : Raymond Pellegrin, Marcel Bozzuffi, Paul Frankeur.
Melville pour moi c'est le plus grand réal de polar (et pas que français) et à la question qui est le plus réal français de l'histoire il y a une seule réponse possible (on peut avoir une dérogation si on dit Clouzot), dommage que sa carrière se soit terminée avec un mauvais film (faut vraiment être aveugle pour défendre Un Flic) sinon c'était LE sans faute du genre, enfin entre
Le Doulos, Samourai, Bob,
le Cercle Rouge et ce 2ème Souffle, on appelle ça la grande classe. Sinon il parait qu'il y a un remake, mais on va faire comme si il n'existait pas, et ça me coute car j'aime bien Corneau mais là son film avec son esthétique WTF et ses ralentis j'ai pas compris.