En gros, c'est du
rape and revenge mixé avec du film de prison. L'intrigue ne se dévoile pas tout de suite, mais dès le départ, la mise en abîme est évidente : une cérémonie remercie des gardiens de prisons pour avoir bien fait leur travail, à savoir mener leur prison avec une poigne de fer, mais une prisonnière en pleine évasion ruine leur minute de gloire. Ce geste représente une rébellion contre le système de répression de la prison, reflet de toute la société d'après-guerre qui sévissait au Japon, basée sur la hiérarchie des classes, le pouvoir de l'argent, et la supériorité du sexe fort sur le sexe faible. Cette femme, Sasori, est vite rattrapée, et les scènes suivantes enchaînent humiliations, lynchages, voyeurisme, et tortures des femmes, abaissant ces dernières au rang d'esclaves, et ne donnant pas ainsi une image reluisante de cet endroit transformant leurs occupants en bêtes furieuses et sans morale. Les expressions vicieuses des gardiens, et le surréalisme des situations virent à l'exagération, procurant un sentiment d'urgence au spectateur. Il s'agit d'une drôle de formule : inspiré du cinéma d'exploitation, un genre très misogyne, ce film transforme son matériau original en défense paradoxale du féminisme. Mais au delà de sa dimension sociologique, il s'agit également d'un spectacle populaire, un conte cruel et initiatique de l'entrée de l'individu - surtout la femme - en société, annonçant des films tels que
Battle Royale.
Le système de répression est vraiment vicieux, car il ne provient pas que des gardiens : la faute d'une seule entraîne tout le groupe vers la même punition, créant ainsi le phénomène du souffre-douleur, catalyseur de toutes les violences, alors que les gardiens en sont véritables responsables. Quelques-unes d'entre-elles sont à leur botte, d'une cruauté peut-être supérieure aux hommes, car elles se trouvent dans une situation intermédiaire, entre victimes et bourreaux. De plus, ils y prennent vraiment plaisir les coquins, jouissant de chaque sévice, alternant déshabillages et coups tordus pour les rabaisser au maximum (la première de ces scènes annoncent la suite, en faisant monter les femmes nues sur des escaliers pour que les gardiens puissent les regarder par en dessous : acte purement gratuit visant à rabaisser la femme à son plus bas niveau). La représentation de la prison est donc nihiliste, crue, violente, évoquant la noirceur et le pessimisme du cinéma de Fukasaku (exemple :
Le cimetière de la morale), couplé avec un style souvent ultra stylisé, en particulier lors de l'expression de la colère des femmes contre leurs oppresseurs, qui ressemble cette fois-ci à du Suzuki (exemple :
Le vagabond de Tokyo). Ainsi, la caméra fait parfois des embardées vers la droite ou la gauche pour perturber le cadre, et les couleurs s'affolent, virant au rouge ou au bleu pour exprimer la violence et la folie de certaines scènes. La mise en scène, l'une des grosses qualités du film, est souvent d'une inventivité inouïe, faisant penser soit à du théâtre (murs pivotants ou changement d'éclairage nous présentant ainsi des séquences successives dans un seul plan séquence) ou à du
Baby Cart, et plus généralement, à l'univers du manga.
Sasori, le personnage principal, interprété par la sublime Meiko Kaji au regard foudroyant et souvent généreusement dénudée, est différente des autres : malgré le fait qu'elle ait tout le monde à dos et qu'elle est celle qui subit le plus de sévices à répétition, elle ne leur fait pas le plaisir de montrer sa souffrance ou sa voix suppliante, qu'on n'entend pratiquement jamais durant tout le film. C'est d'ailleurs son impassibilité qui lui attire les ennuis, car les autres ne peuvent pas faire ce qu'ils veulent d'elle, hormis la torture corporelle ou psychologique, mais si elle ne réagit pas, ce n'est pas drôle pour eux. C'est que sa rage a une source très profonde, qu'elle réserve pour un seul homme et quelques autres. Par une série de flash-backs magnifiques, se déroulant comme des tableaux ou des scènes de théâtre, on apprend qu'elle a été arrêtée par un policier qui l'a manipulée et dont elle était amoureuse. Un parallèle évocateur se produit entre sa perte de virginité et les couleurs blanc-rouge du drapeau japonais, comme si la cruauté de la société, du côté de la soit-disante justice comme celui des hors-la-loi, avait eu raison d'elle. Et en effet, après avoir naïvement fait l'indic' pour lui, il s'est joué d'elle en recevant un pot de vin pendant qu'elle se faisait sauvagement violer collectivement devant ses yeux sans qu'il lève le petit doigt (sans jeux de mots ...). Sa seule réaction : son rire moqueur et de l'argent qu'il lui balance sur son corps meurtri. Bref, sa réaction ne se fait pas attendre et essaie de le tuer, mais sera jetée en prison pour cela. L'unique pensée de cette femme qui lui permet de rester debout moralement et physiquement, quelles que soient les meurtrissures : la vengeance bien sûr ! Cependant, elle parvient toujours, lorsque l'occasion se présente, tel un scorpion, à retourner la violence des autres contre eux-mêmes (ébouillantement, énucléation, ...), pour notre plus grand plaisir (très drôle et bandante la manière dont elle transforme une flic infiltrée en lesbienne ...).
L'une des dernières scènes accentue la perversité d'un système déjà bien gratiné : les gardiens anciennement bourreaux deviennent à leur tour victimes. Il n'y a pas d'espoir dans cette société uniquement basée sur la lutte des classes, constituée à chaque fois d'un maître et d'un esclave, sans équilibre dans les rapports. Enfin, l'accomplissement de la vengeance de Sasori sera subtilement mise en scène par la fameuse chanson qui sera reprise dans
Kill Bill pour la tueuse professionnelle japonaise, pur clin d'oeil d'un personnage doté d'une intensité dramatique comparable : belle comme une rose, elle en a aussi les épines pouvant ainsi être redoutables pour ses ennemis. Son couteau, substitut phallique et lieu-commun du gallio, est une réponse au bâton des matons, et donc prolongement symbolique de sa vengeance contre les hommes. Mais la fin retombe dans le nihilisme qui caractérise tout le film, nous montrant alors que dans la société japonaise, il n'y a pas de ligne de fuite pour les rebelles, finissant toujours au trou (encore sans jeux de mots ...).